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de mes rêves... à mes ailes...
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10 mai 1998

1er jour

_ « Maman tu es sûre que j'y suis obligé? Thiers c'est bien aussi, Michel il y sera lui.

_ « Oui ce sera bien pour lui pas pour toi. Je veux que de là où il est ton père soit fier de toi. »

Je n'ai plus rien à répondre à cet argument de choc. Papa il est mort au champ d'honneur lorsque j'avais quatre ans. En fait je ne l'ai jamais vraiment connu. J'avais deux ans lorsqu'il est parti en Afrique pour se battre contre les allemands. Il était officier. Au mur de la salle à manger trône son épée et son casoar, moi aussi maman a décidé que je ferai Saint Cyr mais avant je rentre à onze ans aux enfants de troupe à Aix en Provence. Et je douille lamentablement. Tous mes copains vont aller au lycée à côté de chez nous et moi qui ai réussi sans problème avec même des notes qui m'ont valu des félicitations, le concours d'entrée, je suis dans un autocar vers ma destinée.

 

D'après ses galons il est sergent-chef. J'ai cherché dans le gros dictionnaire de Papy les grades pour les apprendre. Je sais aussi qu'il faut toujours répondre en les disant haut et clair, mais là je crois que si je devais parler il ne sortirait rien de ma bouche. Il a posé une main sur mon épaule et m'a emmené chercher mon paquetage. Je n'ai même pas eu le temps de dire au-revoir à Maman, mais bon j'espère la revoir puisqu'elle doit attendre pour récupérer mes vêtements civils. La pièce est immense, partout des étagères avec du linge dessus rangé par taille. On me demande de me déshabiller intégralement, je frissonne dans cette pièce glaciale éclairée par un néon blafard. Le sergent chef a disparu avec toutes mes affaires. J'ai juste pu vider mes poches dans ma valise qu'il m'a aussi fait vider, je ne garde avec moi aucun effet civil. Je suis seul avec une matrone qui sourit en me prenant mes mesures les bras en croix comme le petit Jésus.

 

J'ai du attendre debout dans le couloir le long du mur, mon gros sac posé devant moi, les deux garçons qui sont arrivés juste après moi. L'un d'eux est déjà un homme, il annonce fièrement être en seconde et contrairement à moi et à l'autre qui est lui aussi en sixième, il ne semble pas gêné de se dénuder devant cette femme. Au contraire même!

C'est un autre sergent qui nous conduit à un dortoir qui doit comporter une vingtaine de lit. Il y a déjà six garçons qui ont commencé à déballer leurs affaires dans leur armoire. Ce soir, le dortoir sera plein, plein d'inconnus qui auront un an pour faire connaissance.

Lorsqu'il accompagne d'autres nouveaux arrivants, le sergent en profite pour nous montrer comment ranger nos armoires en rangeant la mienne. Je suis ravi, je n'aurai pas à le faire moi-même, mais ce n'était qu'un fol espoir. D'un geste de la main il a tout vidé par terre. À moi de recommencer et à ceux présents de montrer aux futurs arrivants. Le sergent nous rend responsables du bon agencement de leurs placards.

Il y a maintenant un garçon pour chaque lit. Les derniers n'ont pas encore fini de vider leur paquetage que le sergent nous fait mettre au garde à vous devant le pied de nos lits respectifs. Les talons doivent bien se touchés, les mains collés au côté de la jambe, le petit doigt sur la couture du pantalon, la tête haute, le regard fixe devant nous. Pour le repos, nous déplaçons la jambe droite, jambes légèrement écartées, les mains croisées dans le dos. Nous répétons une vingtaine e fois l'exercice. Puis demi-tour à gauche et en rang par deux, il nous emmène derrière lui au coiffeur.

Maman m'y a déjà emmené pourtant le caporal trouvera encore de quoi couper sur ma pauvre tête et je sens le Mistral sur la peau de mon crâne lorsque je retraverse la cour pour aller manger. La cantine se trouve en sous-sol dans une sorte de caveau. J'ai faim et la pièce sent bon la soupe.  Effectivement sur chaque table où nous nous asseyons par dix, trône une grosse marmite avec une louche. Une soupe de légumes ou plutôt de l'eau chaude où flottent quelques légumes et une épaisse couche de graisse indéterminée. Cela ne donne pas envie, pourtant je l'avale, ne sachant pas si il y aura autre chose et j'ai bien fait car à part une tranche de pain et deux figues sèches farinées, il n'y aura rien d'autre et pour la première fois de ma vie, je me couche en ayant encore faim et je me promets de m'en servir deux assiettes la prochaine fois. Je crois que je ne suis pas le seul à me faire cette promesse.

J'ai du mal à m'endormir après avoir fait mon lit selon l'explication musclée du sergent. Le pyjama comme les autres vêtements est en toile raide et rude. J'ai eu beaucoup de mal aussi à placé mon pantalon sous le matelas pour que mon poids cette nuit le repasse. J'ai peur d'être à demain .

Autour de moi, j'entends plusieurs garçons pleurer. J'ai moi-même la gorge serrée et une boule qui monte et qui descend. Finalement, j'ose me lever et vais me mets à genoux à côté du lit de mon voisin.

_ « Tu la reverras tu sais? » Je ne sais pas exactement ce que j'entends par là mais c'est la seule chose qui me vient. Il secoue la tête et sort un visage tout humide et plein de tâches de rousseur de dessous sa couverture.

_ « Non je ne la reverrai plus puisqu'elle est morte. »  J'allai encore rajouter une banalité et referme la bouche  totalement surprit. « C'est pas grave tu ne pouvais pas savoir. C'était ma seule famille c'est pourquoi je suis ici. Et toi pourquoi t'es là? »

Il se mouche avec sa manche, je lui tend mon mouchoir, dont il sert et me rend. Je regarde le bout de tissus, un peu étonné puis le remet sous mon oreiller, c'est moi finalement qui le lui ai tendu.

_ « Mon père était officier, ma mère veut que je suive ses traces, mais je ne sais pas si j'en ai envie. Pas envie de mourir comme lui.

_ « Moi mon père était un simple conscrit mais ma mère est morte en me mettant au monde, et comme ma tante est morte aussi, étant donc orphelin de guerre, j'ai été admis d'office. Mais moi aussi j'ai pas envie de cette vie. C'est quoi ton nom? Moi, c'est Rémi.

_ « François. Et tu es d'où?

_ « De Cadenet et toi?

_ « Marseille, La plaine. »

Un bruit me jette dans mon lit. Je tire la couverture au-dessus de ma tête et n'ose plus bouger. J'entends des voix, des portes d'armoire qui grincent. Les pleurs se sont tous tus. Un cri puis des bruits de coups me font me tenir aussi immobile possible. Je m'endors ainsi tremblant de trouille sans savoir ce qui se passe exactement autour de moi, mais j'ai tellement peur que je ne veux pas savoir.

Ln des Landes

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