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de mes rêves... à mes ailes...
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1 octobre 2022

INKTOBER Gargouille

Gargouille vendredi 30 octobre 1970





J’ai 9 ans.

Demain nous serons en vacances, là, avec le collège du moins avec tous les élèves des deux classes de cinquième, je suis au pied de la cathédrale de Strasbourg.

Au-dessus de moi, au-dessus du petit parvis, face aux magasins mercantiles où nous avons admiré les cigognes qui trempent leur bec dans un verre de 's Wisswiglàs1, les statues m’écrasent de leur hauteur. A mon oreille, la voix de père Camerer, bien qu’absent, me souffle mon catéchisme et fronce le nez, n’appréciant pas la leçon que je reçois.

- Tu devrais suivre les autres, je ne voudrais pas t’oublier quelque part. Tu veux me donner la main ?

Je jette un regard outré à Madame Pholl, ma prof de français. Elle m’a bien regardé ?

Je pars en courant me noyer au milieu du groupe de mes camarades, me glissant entre Caths et Annick. Ils écoutent religieusement l’histoire de la grande horloge astronomique. Tout à l’heure, avant d’aller manger nous reviendrons la voir s’animer mais pour l’instant nous avalons les trois centres marches de sa tour.

Là-haut le vent souffle et nous congèle. Nous aurions du écouter les profs et ne passer nos blousons dans le bus.

Encore des statues mais cette fois leurs faces grimaçantes sont effrayantes.

- Suis sûr que t’as pas le courage de mettre ta main dans la gueule de la gargouille.

Je hausse les épaules, me prennent pour quoi ?

Ce n’est pas la main mais l’avant-bras que je glisse derrière les long crocs de l’affreuse face et me tournant vers les mecs, j’affiche un grand sourire provocateur.

- Robert, sors ton bras de là ! Mais ça ne va pas mon petit ?

Je veux sauter du promontoire où je me suis juché pour accéder à la gueule de la gargouille mais je reste trente secondes, bloqué, suspendu dans le vide par ces dents de démons. Je reste ainsi surpris, mes yeux fixant ceux de l’animal monstrueux où il me semble voir passer comme un éclair de vie.

Je m’affale sur le sol carrelé au pied des profs, mais je ne les laisse pas me toucher et dans l’instant je suis déjà debout.

Là-haut, le croc a goûté à mon sang et en garde la trace rouge sur son croc et j’ai l’impression qu’il sourit.

Je suis parmi les premiers en bas de la tour, attendant que les lents adultes nous rejoignent.

J’exhibe mon bras triomphant.

- Tu sais que les gargouilles c’est comme les loups garous ?

Je me mets à rire.

- Mais oui, bien sûr !

- Bin tu verras bien demain, en plus cette nuit c’est pleine lune.

Comme si j’allais croire ma sœur …







Debout devant mon lit, j’enlève de mon ventre la poussière rose et grise qui est restée collée à moi dans mon sommeil.

Rapidement d’une main, je nettoie mon drap, répandant cette fumée transparente sur le sol, sur laquelle mes pieds nus laissent des traces de pas.



Le froid finit de me réveiller et au-delà de ma porte, je dévale les escaliers puis saisissant mes vêtements, je me précipite dehors pour m’y habiller.

Au loin, je vois Caths arriver comme toujours accompagnée de Gérard.

- Ton père t’a jeté ?

Je saisis le croissant et y plante mes dents avant de répondre.

- Non, je ne veux pas qu’ils voient mon bras.

- Pourquoi ?

- Regarde, j’ai encore des restes de cette nuit.

Remontant ma manche, je lui mets sous le nez mon avant bras où l’estafilade garde encore du sable rouge et gris collé.

Je vois d’abord ses yeux s’ouvrir de surprise puis se froncer.

- Oh non, elle l’a fait !

Elle veut m’entraîner à l’intérieur mais je résiste et m’enfuis en courant vers le grand portail de l’hôtel dont je dois ouvrir les lourdes portes puis traîner sur le trottoir les grosses poubelles plus hautes que moi.

Mais déjà le camion des éboueurs s'arrête et Hector s’approche de moi.

- Hé petit c’est toi qui aime les avions ?

- Oui m’sieur.

- Alors regarde, prends ça, j’ai pensé à toi hier. (Me prenant la poignée noire des mains, il la remplace pour un énorme avion en bois fiché sur un socle métallique. Je plie légèrement sous le poids ce qui le fait éclater de rire.) Aller disparais, je finis, toi vas jouer !

Lentement, je retourne chez moi, serrant ce trésor sur mon cœur.

Mon père m’accueille en me le prenant.

- Tu as volé ça où encore ?

- C’est monsieur Hector qui me l’a donné.

- Et bien voilà ce que l’ont fait des ordures !

Mon bel avion disparaît dans les flammes sous les yeux étonnés de mes sœurs et Caths qui apparaissent à cet instant en bas des escaliers !

Alors brandissant mon bras, je hurle à mon père :

- Ce soir, je te déchirerai et te dévorerai !



Peu de temps après, les yeux aussi rouges que mes fesses, je marche en reniflant vers le collège devant Caths qui n’en finit pas d’insulter Annick.



1Verre de vin blanc

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