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de mes rêves... à mes ailes...

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27 août 2023

Alone cowboy

Alone cowboy



Ce matin, le vieux Mitchell lui a donné sa paye et lui a dit :

- On repart dans la quinzaine, j’te garde ta place.

Il n’a rien répondu.

Il a embotté sa paye et monté sur sa vieille carne.

- Holla Dorie, ouais moi aussi suis fatigué, tu te reposeras à la ville.



La ville, c’est Phillipscity, à peu près 500 âmes quand les hommes ne sont pas partis accompagner les vaches.

Justement c’est la fête.

Il s’assied sur le bout du banc, la femme vient lui poser une bonne assiette de haricots, maïs et patates où baigne deux gros bouts de viande.

La seule différence avec ce qu’il vient de manger depuis un mois et qu’il mangera demain, sûrement, c’est la viande.

Il a faim, ça sent bon. Il attaque son repas après avoir remercié le bon dieu de cette assiette pleine. Il le fait par habitude, car ce n'est pas le bon dieu qui lui a rempli sa gamelle, c’est la gonzesse ou la sueur de sa peau.



Quand le gamin vient poser ses mains sur sa cuisse, il sourit. Quand il grimpe dessus et commence à manger haricot après haricot, il grogne, mais il laisse faire.

Puis le second drôle est arrivé, identique au premier, mais plus petit, il l’a aidé à s’asseoir sur son autre cuisse.

Pourquoi ? Il ne sait pas. Il a trouvé ça naturel.

Il leur a seulement dit à chaque fois :

- T’as faim mon gars ?

Il ti-gars a bougé la tête et a mangé.

L’homme a réclamé une seconde assiette et si la fille a tiqué, elle n’a rien dit, elle a porté l’autre assiette.

Il a alors remarqué qu’elle avait mis plus de viande.

L’homme a pris deux autres fourchettes qui traînaient sur la table et a forcé les deux ti-gars à manger avec. C’est le minimum. 

Les indiens mangent avec leurs mains, pas eux.

Le petit a posé sa tête sur la table et a fermé les yeux puis le plus grand a fait pareil.

Lui, il a terminé les deux assiettes et les a bien nettoyées avec du pain.

C’est alors que le petit a vomi. Là, comme ça sans se relever.

Lui, il a juré et a repoussé la tête de l’enfant.

La gonzesse l’a envoyé chier.

- Casse-toi avec tes moutards.

- C’est pas les miens qu’il lui a répondu.

Mais il s’est levé, un p’tit gars sous chaque bras.

Il ne sait pas quoi en faire, il va pour les poser quand une vieille s’approche de lui.

- Ils vont te refiler la maladie dont leurs parents sont morts et il n’y a qu’à la grande ville qu’on peut la soigner, ici on a pas les médicaments.

Pourquoi il a fait ce qu’il a fait, il ne sait pas, il l’a fait en tout cas.  Peut-être que c’est le bon dieu qui lui a soufflé à l’oreille, va savoir.

Les indiens, ils disent que c’est le vent des grandes plaines.



Le vieille Dorie elle n’a pas été contente quand il lui a remis sa couverture et sa selle mais comme toujours elle n’a rien dit.

Une fois sur sa selle, il a fermé son manteau de cowboy et croisé les pans de devant pour en faire une sorte de hamac comme pour un veau nouveau-né malade. Et il les y a posés.  

Il y a deux jours qu’ils ne sont pas réveillés, il sait qu’ils sont vivants car ils sont chauds, très chauds, trop chauds.

Lui aussi commence à avoir froid.

Quand il accroche Dorie devant le grand, très grand immeuble qui lui donne mal au cou quand il lève la tête pour regarder sa hauteur, il a la tête qui tourne.

Alors avec ses fontes sur une épaule, les tits gars sous les bras, il rentre dans l’hôpital.

La cornette blanche l’emmène jusqu’à un lit où il la regarde, les coucher après les avoir déshabillés.

- C’est bien mon gars de nous les avoir emmenés, on va sûrement pouvoir les sauver tes fils.

Pourquoi il ne dit pas que ce n’est pas ses fils, il ne sait pas. Il ne dit rien, il se contente de hocher la tête. Faut dire qu’il n’est pas du genre à causer beaucoup.

Ils sont tout petits, couchés côte à côte, chacun un fil dans un bras.

Il prend une chaise et ses fontes posées une cuisse, il croise ses bras au pied du lit des p’tits gars et pose sa tête dessus.



La Mary d’abord, elle a envie de lui dire de bouger, qu’il gêne, et puis il pue. Il pue la bouse de vache et le crottin de cheval mais elle n’en a pas le courage.

L’homme dort profondément, le front posé sur ses bras.

Elle a pitié de lui. De la misère, elle en voit tous les jours depuis qu’elle travaille là, depuis dix ans déjà. Depuis que la mère Elisabeth, lui a trouvé ce petit boulot d’aide soignante.

Son travail, elle l’a appris toute seule, en regardant les autres faire, à nettoyer, à panser, à piquer jusqu’à ce que le vieux docteur Smith lui dise :

- Je t’ai inscrite aux cours. Bon, t’y apprendras pas grand-chose, tu sais déjà tout.

Aujourd’hui, elle est infirmière et le vieux docteur est mort.



L’homme, elle le laisse dormir. Elle se débrouille. Elle a pitié.



Trente-six heures. 

Elle n’est pas rentrée chez elle. Pourquoi ? Elle ne sait pas. Son instinct maternel peut-être. Pourtant des gamins, elle en soigne et elle en voit mourir tous les jours.

Ces deux-là, sont plus costauds que l’on dirait.

Comme leur père.

Les antibiotiques et les perfusions ont réhydraté les deux enfants.

Le grand en se réveillant a pris la main de son frère qu’il n’a pas voulu lâcher même quand il a réclamé à faire pipi. Elle a eu pitié et il a trouvé rigolo d’uriner dans le pistolet.

Mais le petit lui s’est fait dessus, il faut changer les draps.

Et puis le vieux dans le lit d’à côté, il est mort alors le cowboy, il gêne pour refaire le lit. 

La collègue de Mary le secoue, il s’écroule de sa chaise. Lui n’est pas encore mort. Il va donc prendre la place du vieux. Il est malade comme ses fils. Mary s’en veut, elle aurait dû s’en douter.

Si elle se fait aider pour l’allonger sur le lit, elle décide de s’occuper elle-même de lui. 

D’abord, le déshabiller. 

L’argent qu’elle trouve dans le fond de ses bottes, une petite fortune, elle le fourre dans les grandes poches de sa robe. Elle ne veut pas qu’on les lui vole.

Le docteur lui prescrit comme à ses fils antibiotiques et réhydratation. Depuis combien de temps n’a-t-il pas bu de l’eau ?

Entre deux autres malades, Mary revient s’occuper de lui. Petit à petit elle le nettoie, elle le décrasse. Le visage débarrassé de l’épaisse barbe, le lui montre plus jeune qu’elle ne pensait.

Il est brun autant que ses fils sont blonds. Le visage tanné par le vent et le soleil.

Quand elle a demandé au plus grand des garçons où était leur mère, il a dit : elle est morte !

Sûrement emportée par le choléra avant de leur donner à eux.

Elle ne sait pas pourquoi la détresse de cet homme et ces enfants l’émeut autant.

Si l’homme est toujours inconscient et inquiète le docteur, les deux enfants eux vont bien.

- Mary, rentrez chez vous c’est un ordre !

Elle n’a pas le choix, elle doit obéir.

Mais avant de partir, elle vient prendre les deux enfants par la main, les fontes de l’homme sur une épaule et ses vêtements dans un grand sac.

Pourquoi elle fait ça, elle ne sait pas, parce qu’elle pense que c’est juste de le faire.



Chez elle, elle couche les enfants sur son lit et va s’allonger dans le cosy en face du poêle qu’elle a eu du mal à rallumer.



Ce sont des bruits de souris qui la réveillent.

Les souris sont deux petits bonhommes qui mettent du bois dans le poêle.

Elle hurle.

- Arrêtez-vous, vous allez vous faire mal.

La bûche tombe au sol et effrayés les deux enfants se tassent contre le mur.

Il fait nuit.

L’horloge sur le buffet marque dix heures. Dix heures du soir et elle s’est couchée à neuf heures la veille. Elle a fait le tour du cadran.

Il est vrai qu’elle était fatiguée.

- Vous avez faim, je pense.

Les deux en silence hochent la tête.

Il lui reste du porridge mais pas de lait.

Elle lace sous leur yeux ses hautes chaussures puis leur tend la main.

- Venez on va essayer de trouver à manger.



Le restaurant du vieux Tibo est toujours ouvert. Lui est son fils se relaient, c’est bien pratique.

Demain elle achètera du lait.



De retour chez elle, elle met de l’eau à chauffer.

D’abord les baigner puis laver leurs vêtements et ceux de leur père.

Dans les fontes de l’homme il y a pas grand-chose : un sous vêtement de rechange aussi sale que celui qu’elle lui a enlevé, des chaussettes trouées mais pas de vêtements d’enfants.

Elle est heureuse car ils n’ont pas de poux mais avant de les recoucher tout nus, elle change tout de même les draps.





Son petit appartement sent bon le linge propre.

Pour reposer ses bras, elle se met devant sa machine à coudre, elle a sacrifié une de ses plus vieilles robes et bientôt sur le dossier de la chaise, il y a deux petits shorts et deux gilets.

Le soleil commence à poindre mais elle décide de s’allonger pour se reposer un peu.





Quand elle ouvre les yeux, il est une heure.

Le poêle tourne encore à plein régime.

- C’est toi qui a remis du bois ? L’enfant hoche la tête terrorisé. Elle s’en veut de lui faire peur. Hier elle n’a réussi qu’à leur faire dire leur prénoms : John et Jonatan pour le petit. Et leur âge : 5 et 2 ans. Le grand parle, pas le petit.





Avec les deux enfants, elle retourne à l’hôpital.

- Ah vous revoilà ! C’est pas trop tôt, leur père n’est pas commode.





L’homme dès qu’il les voit se lève. Elle sourit et il retourne se coucher penaud, les mains cachant son entrejambe.

- Je vous ramène vos garçons et vos vêtements. Je vous les ai nettoyés. Je suis contente que vous soyez guéri.

Les deux enfants debout derrière le pied du lit observent l’homme. Ils ne disent rien, lui non plus, ils s’observent.

Ses enfants… ce ne sont pas ses enfants. Il n’a pas d’enfant. Comment pourrait-il avoir des enfants, il n’a pas de femme. Quelle femme voudrait d’un orphelin qui n’a que son cheval.

Non de dieu, Dorie !

Il s’habille vite, très vite.

Elle a recousu ses chaussettes mais ses bottes sont vides. Il n’a plus un penny.

Il est effondré, cet argent qu’il mettait de côté pour s’acheter un petit ranch, envolé.

- J’ai tout mis dans vos sacs. Tout jusqu’au dernier penny.

- Merci ! Il regarde les deux p’tits gars. Il faudra au moins qu’il les ramène au village ou dans un orphelinat. Allez venez !

Dorie est toujours là attachée à son anneau. On lui a mis de l’eau. De ses fontes, l’homme sort du picotin et lui en remplit sa mangeoire.

Il assied les enfants sur la selle puis les abandonne.

Il remonte jusqu’à la salle où il avait son lit. Il y a déjà un autre homme à sa place.

Elle n’y est pas. Il la cherche. Il la trouve dans une autre salle. Il s’approche d’elle, son chapeau à la main, ses fontes sur l’épaule.

Surprise, elle le regarde.

Elle ne le trouve pas si laid.

- Je vous dois combien ?

- Rien ! Le Bon Dieu veut qu’on aide son prochain comme on aimerait qu’on nous aide.

Il ne dit rien, il ne sait pas quoi dire.

C’est elle qui s’éloigne en souriant vers un autre malade.



Les enfants n’ont pas bougé.

L’homme à l’accueil de l’hôpital, lui a dit où se trouvait un des orphelinats de la ville.

Il marche à côté du cheval.



Il est debout immobile depuis bien cinq minutes devant le portail ouvert. 

A côté de l’immense portail en fer forgé, un panneau où il y a écrit : orphelinat.

Il repense à son enfance, aux coups, à la faim la nuit dans son lit, à sa sœur qu’il a vu partir avec cet homme et cette femme.

Alors il dit :

- J’ai faim ! Et il se remet à marcher.







Mary en descendant les marches devant l’hôpital, ne voit que lui. Il est assis sur un banc, les deux enfants à côté de lui.

- Ça ne va pas ?

Il se redresse de suite. Les enfants aussi, surpris.

Il enlève son chapeau, il le tient à deux mains.

Elle le sent gêné.

Il ne la regarde pas, il regarde ses pieds.

Alors elle pose sa main gantée sur la sienne.

- Qu’y a-t-il ? Que puis-je faire pour vous ?

Alors sans reprendre sa respiration car sinon il sait qu’il ne finira pas il lui dit tout : ses enfants qui ne sont pas les siens, son enfance d’orphelin et qu’il ne veut pas pour eux. Son envie de cabane là-haut dans les bois, de son envie de vie simple, du besoin des petits d’avoir une mère et lui d’avoir une femme.

Il ne lui parle pas d’amour, non juste de son envie de vivre, de ses espoirs.

Quand il se tait, il regarde toujours ses pieds.

Elle sourit, elle aussi est orpheline, elle aussi a eu faim et il a le même âge qu’elle. Et puis c’est vrai qu’il n’est pas laid.

- Et bien déjà si vous veniez à la maison, on pourrait y parler d’avenir ?





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16 avril 2023

Une maman

Mon petit prince 3

une maman

 

 

Il neige encore.

D’habitude j’aime bien, là j’en ai marre.

 

 

10 heures.

J’hésite.

Et puis non.

Et puis oui.

 

 

- Je vais promener Toutoune.

Oui mon chien s’appelle Toutoune, non suprêmement ridicule mais qui lui va suprêmement bien.

 

 

Toutoune est un caniche noir qui se fait tondre une seule fois par an, en Juin. Donc là, nous sommes en Janvier elle commence à être une grosse boule de poils tout doux que Papa brosse consciencieusement pendant tout le temps où après le repas il reste devant sa télé.

 

 

 

Là c’est une boule de poil noirs qui saute dans tous les tas de neige érigés par les employés du parc pour plus ou moins dégager les allées et les bancs.

Ah oui et qui pleure à la limite de la glace des petits lacs après les canards qui la narguent de loin.

L’année dernière elle a failli se noyer en courant sur la glace puis en tombant dans l’eau glacée. Avec mon père pour la sortir de là, nous avons dû ramper sur la glace. C’est moi qui suis allée la sortir, étant la plus légère, mon père allongé derrière moi me tenait les chevilles.

Quand nous sommes arrivés à l’appartement, elle avait du mal à bouger ses pattes et je tirais derrière moi, avec la laisse, une serpillière de poils gelés.

Avec les parents on se demande encore comment elle a fait pour pas tomber malade, mais depuis, elle ne pose plus une patte sur la glace.

Ma Toutoune c’est un chien idiot mais qui apprend très vite.

 

 

 

 

- Mais tu es fou !

Il s’assied.

Il est comme la première fois en bras de chemise.

- Je savais que ça te ferait venir.

- Idiot !

Sur le banc un pull bleu marine que je lui enfile.

Sur le banc d’à côté, un anorak bleu marine aussi. Je vais jusqu’à lui, Toutoune le renifle.

Il m’a suivi, il est juste derrière moi. Je le lui tends. Il sourit. Je soupire. Je lui mets. J’ai l’impression d’habiller un pantin, une poupée de chiffon.

D’une poche dépasse un bonnet, le rossignol que j’avais ramassé. Je lui en couvre la tête.

- C’est pas le mien.

- Maintenant oui ! Tu n’as pas de gants ?

Il secoue la tête.

Le bleu de ses yeux contraste avec le blanc de ses iris. Ses lèvres sont bleues comme ses yeux sur des dents blanches.

 

 

 

 

Toutoune a trouvé une congère où creuser.

- C’est ton chien ?

- Non. Celui du Père Noël.

- Oh !

 

Aujourd’hui il a un pantalon long en velours bleu marine et de grosses chaussures.

Tous les deux les mains dans les poches on la regarde.

Je me demande pourquoi je suis là ?

 

- Pourquoi t’es venue ?

- Je dois être folle.

- Oh !

 

Il ne sourit plus. Il fait des grimaces. Il semble réfléchir et comme quand je lui ai demandé pour l’école, on dirait qu’il veut faire rentrer sa tête dans le col de son anorak.

 

 

- Je voulais savoir si tu tiendrais parole.

- Je tiens toujours parole.

 

 

Toutoune s’éloigne.

Nous la suivons.

Bernadette dit que ce n’est pas moi qui promène mon chien mais mon chien qui me promène.

 

 

- Tes parents ne s’inquiètent pas ?

- Et les tiens ?

- Je suis avec mon chien.

- Non ils s’en foutent. Là je devrait être à la messe avec mon oncle. Je lui ai dit : «J’ai rendez-vous avec une fille». Il m’a dit : «T’as raison vas tirer ton coup, je t’attends dans ce winstub.» Lui aussi s’en fout de moi.

- Hé ! C’est moi la fille avec qui tu dois tirer ton coup ?

- Oui !

Il me sourit, la tête un peu penchée sur le côté.

- Bin rêve pas.

- Pourtant tu sens bon !

Là s’en est trop, je m’éloigne. Toutoune se met à courir devant moi sur l’allée. Elle a envie de rentrer sinon elle serait restée à sa congère.

Derrière moi, un bruit de course.

Il m’attrape par le bras.

- Je rigolais, pardon. Et c’est pas moi qui l’ai dit c’est mon oncle.

Il a un regard triste et suppliant.

- Alors pourquoi t’es venu ? Pourquoi tu m’as dit de venir ?

- Parce que tu sens bon.

- Ah ! Alors tu t’es dit : comme c’est une…

Cette fois ses yeux lancent des éclairs.

- Arrête ! Je t’ai dit que ce n’est pas ce que j’ai dit. Pour moi t’es un ange. L’autre jour je pensais déjà être mort quand tu m’as pris dans tes bras. Pour moi t’es un ange… S’il s’était presque mis à crier, là sa voix est devient presque inaudible. T’es pas une pute. Les putes elles m’engueulent, me secouent. Toi t’es... comme une maman.

 

 

Toutoune lui court après. Elle doit croire qu’il joue. Non il s’en va. Il court vite et j’aime pas courir. Je le regarde disparaître au bout du jardin après les jeux pour enfants ensevelis sous leur blanche couverture d’hiver.

 

 

 

 

 

16 avril 2023

Tu m'embrasses ?

Mon petit prince 2

Tu m'embrasses ?





Avoir un chien c’est devoir le sortir au moins deux fois par jour.

C’est deux fois par jour échapper à la surveillance de ma mother et soit seule, soit accompagnée par mon ombre, ma copine Bernadette, partir vagabonder une bonne heure.

Bon pas le matin, là c’est Papa qui s’en charge car : « Tu es trop jeune et tu dois être à 8h au collège…»

Arf !

Enfin bref...



Depuis mardi, j’y vais seule…



Et si je suis trop jeune pour sortir le chien à sept heures du matin, je ne le suis pas pour le sortir à huit heures du soir.

Allez comprendre les parents…

Enfin bref…



Depuis mardi, j’y vais seule.





Jusqu’à présent j’allais promener mon caniche. Oui oui un caniche, pas un toy, un presque royal, 45 centimètres au garrot tout de même. Et donc j’allais promener mon caniche au travers des grandes places de l’université de Strasbourg où ma mère pouvait me surveiller mais depuis trois jours je vais à l’opposé, je file vagabonder, monter et descendre les divers escaliers du fort Vauban.



On se demande pourquoi ?



Mais je n’ai pas revu mon petit prince. Est-il retourné sur sa planète ?



J’ai gardé le souvenir de son petit corps frêle, de ses yeux bleus délavés et des ses cheveux ondulés si soyeux.



Bernadette m’a promis de garder le secret.



Aujourd’hui c’est samedi, la prof d’anglais : Madame Martin est absente pour mon plus grand bonheur.



A onze heures, je propose à Bernadette, Sylvie et Marie-Pierre d’aller passer cette dernière heure sur un des bancs du fort Vauban qui est juste derrière le gymnase du groupe scolaire de l’Esplanade.

Mais pour y aller, il y a deux solutions : passer par le stade du groupe scolaire et sauter par-dessus le petit muret qui l’entoure mais des lycées l’utilisent. Soit passer par la sortie du lycée et passer sous le nez de leur directrice avec le risque de se faire alpaguer par cette furie.



A peine, les grilles passées mêlées à des terminales qui rient en nous voyant nous mêler à eux, nous partons en courant, assoiffées de cette courte liberté.



Il a encore neigé et des employés de la mairie cassent la glace des petits lacs pour permettre aux canards de continuer à barboter.





Bernadette me donne un grand coup de coude dans les côtes.

Là au loin, sur un banc, une tâche bleue.







Petit tas de chiffons roulés en boule, cette fois il a bonnet et manteau mais en guise de pantalon des bermudas gris au-dessus de hautes chaussettes et des mocassins à glands.





Il se redresse en nous voyant arriver et vient vers nous.



Qu’il est petit !





- Sens-tu toujours aussi bon ?

- Oui toujours une putain.

Il lève les yeux au ciel.

- J’ai pas dit…

- Je sais ! Les filles, je vous présente Philippe.





Ses yeux sont rouges mais pas vitreux comme l’autre fois.







En silence.

A cause de sa présence ?





Nous allons jusqu’à l’école primaire où nous regardons les petits sortir sagement, les filles par le portail de droite et les garçons par le portail de gauche.



Avec les filles nous venons toutes de l’école Jacques Sturm.

- Toi aussi tu as fait ta primaire ici ?

Il baisse la tête et semble vouloir la faire entrer toute entière dans le col de son manteau en drap bleu marine.

- Non. Mes parents m’ont cloîtré chez les bonnes sœurs presque dès ma naissance.



Le dernier petit disparu, nous rebroussons chemin, traversant une nouvelle fois, les jardins du fort Vauban jusqu’à la sortie près du lycée.



- Bon moi, je vous laisse.

- Moi aussi. À lundi !



Reste Bernadette qui me fixe.

- Ça t’embête si je rentre, j’ai, comme qui dirait, froid.

- Non, je vais pas tarder aussi.





Je la regarde s’éloigner puis me tourne vers mon petit prince qui sourit.

Il n’a pas arrêté de sourire.

Au loin, des cloches sonnent, il est midi, ma mère doit être aux portes du collège, elle rentrera encore seule et je vais me faire engueuler. Je la laisserai gueuler.





- Tu m’embrasses ?

- Hé non, ça va pas ?



Je m’éloigne. Il est comme les autres.



- Demain je serai là à dix heures.





Il n’est plus mon petit prince.







































25 mars 2023

Alyzée

Alyzée

 

D’un geste ample, j’ouvre les rideaux marrons aux dessins qui appellent au voyage.

Je dépose un baiser dans le cou de l’homme que Morphé garde encore dans ses griffes.

- Debout l’amour, c’est l’heure.

Je m’amuse de le voir lutter contre le sommeil.

- Non c’est dimanche.

- Oui mais c’est l’heure..

- Oh putain de messe.

Je me mets à rire…

- Je préférerais presque. Aller debout on a un ange à aller accueillir.



- Papa !

J’écarte de devant le zombi, ma petite chanteuse blonde.

- Désolée poupinette là, nous sommes pressés.



Si la douche commence à réveiller le cornichon flasque et sans vie qui me sert de mari, le café lui redonne vie.

 

J’abandonne les filles à leur grand frère que j’ai sorti du lit lui aussi. Mais au moins avec lui, pas besoin de séance de réanimation.

- Pour midi, j’ai préparé des lasagnes. Tu fais en sorte qu’il en reste pour ton beau-père. Je vois son sourire s’agrandir. Non, François je ne rigole pas ! Le pain pour midi est dans la huche et j’ai remis une fournée en route, elle sera prête pour le goûter, sort le dès que ça sonne et remets de suite en route pour que comme ça vous en ayez aussi pour le repas de ce soir. Derrière lui, ma plus grande me fait signe qu’elle s’en occupera.

- Ouais ouais.

Je lui montre aussi le contenu du gros bol du mixer. Mais Fab pousse un peu l’ado qui a deux têtes de plus que lui. Il a mon sac à la main et me tend mon blouson.

- Pardon François, tu t’occupes bien de tes sœurs.

Derrière moi une voix de fausset m’annonce que mon petit mitron vient de finir sa journée de taff.

- Vous partez ? Vous allez où ? Maman je te ramenais un gâteau.

- Chercher ta petite sœur. Garde-en un bout pour Fab. Et ne te disputes pas avec ton frère.

- Hé mais c’est toujours…

Je l’embrasse et dans l’oreille.

- Chut ! S’il te plaît, une trêve des confiseurs pendant mon absence.



Les portes coulissantes de la clinique s’écartent devant le géant qui a déjà mis au monde mes quatre premières filles. Quand il nous voit, il vient directement vers nous, avalant la distance comme un ogre avale les petits enfants.

Moi, je fais des pas de fourmis, tenant mon ventre à deux mains soutenue par Fabrice qui n’a pas dit un mot depuis notre départ.

- Bonjour, déjà ? J’opine de la tête. Mais c’était prévu pour dans deux mois ?

- Oui docteur mais c’est ma…

D’un coup il affiche un air vexé et fâché.

- Votre septième, oui je sais.

Mais déjà il fait demi-tour en courant et revient avec un fauteuil roulant suivi par la jeune femme de l’accueil. Il m'aide lui-même à m’asseoir après avoir attendu anxieux et souriant, une main tenant mon bras et l’autre posée sur ma main comme s’il voulait m’aider à contenir le petit être pressé de sortir.

Il me dépose un baiser sur la tête.

Est-ce mon père ou mon gynéco ? La femme en face de moi a un sourire moqueur.

Moi je vois ses pieds, il a des chaussures noires fines et très longues. Faut dire qu'il est immense… comme ses mains…

- Vous la montez au bloc de suite. Il s’accroupit à côté de moi, ses yeux bleus souriants me fixent. Je reviens de suite, j’ai laissé mes jumeaux seuls à la maison… une urgence… une césarienne… des jumeaux aussi. Magnifiques, absolument magnifiques, trois kilos chacun. Les miens à côté étaient minuscules… bref je reviens de suite, le temps de les ramener à leur mère. J’arrive !

Et je le regarde partir en courant vers sa voiture.

- Il a l’air de bien vous aimer.

- C’est la cinquième qu’il va mettre au monde.

- Oui mais tout de même.

Je lève la tête vers la jeune femme. Qu’est-ce qu’elle sous-entend par là ? Mais, je le connaissais d’avant….

Bon là, la douleur qui me vrille les reins me fait me lever du fauteuil et debout dans l’ascenseur je m’appuie sur les épaules du faux blond mal rasé.

Je préfère continuer à pied, pas envie d’avoir à me relever de carrosse mal pratique avec ses repose-pieds gênants.



Dans la salle d’accouchement la femme m’abandonne en me disant qu’elle va chercher mon dossier.

Elle ne me manquera pas vue son amabilité.



Je suis déjà les fesses à l’air avec juste le même tee shirt Mylène Farmer que pour la dernière fois quand la porte s’ouvre sur sept personnes. Je vois Fab froncer les sourcils.

- Bonjour, je serai votre sage-femme, ces jeune femmes sont des étudiantes peuvent rester ?

Tout en disant ça, elle me positionne face à elles.

J’adore sa façon de me demander mon autorisation d’exhiber mon intimité à ces inconnues tout en le faisant. Je vois chez Fab les nerfs monter.

- Je crois que je vais aller en fumer une. Une des élèves lui ouvre une porte donnant sur un couloir. Je reste là, venez me chercher.

- Oui oui… Je ne sais plus à qui je dis oui… car elle en est déjà à sa sixième tentative pour me placer la perfusion sous l'œil attentif des élèves Là, c’est moi qui craque. Je lui enlève mon bras des mains d’un geste sec et lui donne mon poing serré et de l’autre main lui montre la veine bien gonflée qui le décore. Essayez là !

La femme d’un certain âge va pour parler mais vu mon regard elle se tait et pique. Wahoo ! Du premier coup, miracle ! Par contre couchée je ne suis pas bien du tout. Et il est où l’anesthésiste ?

- Il faut d’abord que je vous prenne du sang et qu’on ait les résultats de l’analyse.

- Non, je sens qu’elle sort, j’en ai marre d’avoir mal, allez le chercher.

- Vous pouvez aussi accoucher sans.

Je sens qu'on ne va pas s’entendre elle et moi…

- C’est vous qui accouchez ?

- Non mais moi je sais, je suis votre sage-femme.

Sur ce, les portes de la salle s'ouvrent sur mon géant préféré.

- Me revoilà, vous êtes bien installée ?

- Elle refuse d’aller chercher l’anesthésiste.

Je n’ai pas vu son regard mais par contre je vois la «madame je sais» se lever et disparaître.

- J’ai demandé à mon ami pédiatre de venir, moi je vais me mettre en tenue et ne vous inquiétez pas je ne suis pas loin.

 

Hélas pour moi, trop loin tout de même.

 

A peine est-il parti qu’un autre homme entre, suivi par la sage-femme.

- Bonjour je suis votre anesthésiste, je vais donc vous placer la péridurale.

Honnêtement lorsqu’ils me font m’asseoir, je sais que c’est trop tard, la tête est là, engagée… je leur dis, mais…

- Madame encore une fois c’est qui ici la sage-femme ?

- Vous mais c’est moi qui le sens.

Alors que, elle, elle ne m’a même pas encore auscultée.

Mais déjà enroulée autour de mon oreiller, je sens l’homme derrière moi me piquer, une fois puis deux, puis sentir lentement progresser le liquide chaud et la douleur dans mes reins disparaître, mon corps se calmer. J’ai vu entrer un autre homme qui est venu silencieusement se placer à la tête de la table. C’est un médecin souriant, un autre géant par rapport à mon mètre soixante. Et je me dis que ma salle d’accouchement finit par ressembler à un hall de gare où il ne manque que deux personnes : mon homme et mon gynéco.

Je vais pour les réclamer mais déjà la sage-femme m’arrache l’oreiller qu’elle passe à un élève et me pousse en arrière.

- Allez on se rallonge !

Elle fait le tour de la table pour venir se positionner entre mes jambes.

Et moi… et bien j’oublie tout sauf une chose : je sens le bébé sortir.

Et  je m'affole, je panique, je n’ai pas les jambes sur les étriers, mais dans le vide. Vite, je dois me redresser car je glisse, je tombe. Je crie ! Je veux m’appuyer sur les coudes mais deux mains me saisissent par les aisselles et me tirent en arrière.

Et là… si moi je m'éloigne du vide, en sécurité, merci monsieur l’inconnu. L’enfant, le bébé, MON bébé, lui reste là où j’étais il y a quelque secondes et chute...

J’ai senti son corps glisser, en douceur, telle une savonnette fugueuse.

J’entends les élèves crier. L’homme me lâche. 

Je lève la tête pour la voir me poser le bébé sur le ventre.

Ah elle peut sourire cette abrutie !

Mes mains se referment sur le petit corps chaud qui a juste poussé un cri et maintenant se tortille. Je remonte mon tee shirt et la cale entre mes seins. Le reste, elle le fera comme les autres, toute seule.

A mes pieds la femme brandi des ciseaux.

- Monsieur vous voulez…

Et là je réalise que Fab est toujours dans son couloir. Bon peut-être n’est-ce pas plus mal, je ne sais pas comment il aurait réagi. Perte de connaissance ou perte de contrôle et meurtre ?

Une élève lui ouvre. Il se saisit des ciseaux quand le gynéco apparaît.

- Putain mais personne n’est venu me chercher.

Mon sauveur lui explique. Il a une voix grave et douce.

- Faut dire Fred que ça c’est passé tellement vite !

- Une blouse ! En même temps il fait reculer la femme qui sort en revient avec une blouse qu’il enfile. Dehors tous !

Ses yeux lancent des flammes mais il me sourit, tire un siège en face de moi, enfile des gants. Avec une douceur presque surprenante pour de si grandes mains, il me lave, m’examine, fait sortir le placenta.

 

Derrière moi, l’homme serre la main de Fab.

- Je suis le docteur C, je suis pédiatre, c’est mon ami qui m’a demandé de venir faire passer sa première visite à votre petite merveille. Et je suis content d’avoir pu aider.

Et moi donc ! Sans lui, je… serions-nous encore vivantes ?

Mais ma petite merveille a su comme une grande trouver la source de la bouffe et ouvre des yeux bleus sur le monde. L’homme devant moi sourit ravi,comme si c’était son premier accouchement.

- Et bien celle-là contrairement aux autres, elle sera calme. Alors, comment allez-vous l’appeler celle-là ? Je me souviens de votre tee-shirt, l’autre c’était Mylène, c’est ça ?

- Oui docteur. Celle-ci s’appellera Alyzée.

 

Bientôt je la cède au pédiatre qui s’éloigne avec le papa.

Moi, je peux allonger les jambes sur la table dont il a relevé le bout, il me recouvre d’un drap et à nouveau j’ai droit à un baiser sur le front. 

- Je suis si désolé de ne pas avoir été là.

Il a l’air si triste.

Mais il m’abandonne pour rejoindre les deux autres.

Je ne vois que trois dos d’hommes qui veillent sur le petit bout de femme que j’ai crue morte pendant une micro seconde.
















13 mars 2023

l'adieu sur l'autoroute

La jeune femme qui me fait face à des cernes encore plus impressionnantes que d'habitude. Elles ne m'étonnent guère après la soirée de la veille passée dans ce charmant petit restaurant. J'ai bien regretté d'ailleurs d'être avec Michel, l'accueillant serveur étant tout à fait à mon goût. Enfin ! Je tire la langue à mon reflet qui en fait de même. Pourquoi n'est-ce que dans les films que celui-ci devient autonome ? Cela mettrai un peu de piquant dans ma vie, aussi plate et morne que moi.

Mes pensées reviennent à nos agapes de la veille, à nos chœurs discordants lorsque le vin et les divers alccols ont eu raison de notre raison. À Hugo à genoux sur la table transformant le classique Happy Birthday en une grotesque déclaration d'amour. Ah ces deux là ! toujours aussi complices que du temps d'HEC.

 

Je remonte le col en renard des neiges de mon manteau sur mon visage. Le pâle soleil d'hiver n'a pas encore commencé son ascension et le vent glacial du Nord fouette mes jambes bien peu protégées par le léger collant en résille. J'ai rendez-vous à dix heures à Bruxelles. Quelques heures de sommeil en plus n'auraient pas été de trop mais la fraîcheur de la température est plus efficace que le jus de chaussettes que je viens d'avaler avant de claquer la porte de motre humble appartement. Je réalise n'avoir pas embrassé Michel avant de partir. Bah dans l'état où il était lorsque nous sommes rentrés il y a à peine cinq heures, il ne s'en aurait même pas aperçu.

 

Au péage à l'entrée de l'autoroute, il y a déjà de l'attente. Autour de moi, dans les autres véhicules des hommes en costumes, le téléphone à la main pour la majorité me sourient. Le miroir du rétroviseur me renvoie l'image d'une jeune femme brune aux longs cheveux remontés en un sage chignon bas sur la nuque. Je profite de l'attente pour attraper mon nécessaire à maquillage que je laisse dans la boîte à gants pour les jour comme aujourd'hui où le temps courre plus vite que moi. Sur le siège passager mon manteau accueille maintenant eye-liner, rouge à lèvres et autres indispensables accessoires à la femme que je suis. Ma man caresse rêveusement sa douce fourrure. Michel n'est pas à proprement parlé un jeune premier, il a dépassé le demi-siècle mais aucun de mes amants n'auraient les moyens de m'offrir une autre de ces modestes pièces vestimentaires à chacun de mes anniversaires. Pour Noël qui arrive à grand pas, il m'a promis le vison que nous avons pu admirer lors de notre promenade en amoureux à Florence.

 

Florence, Florence ! son petit hôtel où Paolo sait se faire si discret, J'y ai emmené Eric, Eric et ses yeux verts de la couleur de ces lagons où l'eau est si chaudes et pleines de ces petits poissons qui nous caressent en nous frôlant. Le soleil pointe à l'horizon, je pense à Michel qui doit s'éveiller. A-t-il trouvé mon petit mot ?

 

Ah si Eric pouvait être moins pressé. Il a cette fougue que procure la jeunesse. Cette jeunesse qu'il me reproche gentiment de ne plus avoir lorsque je refuse d'avoir un enfant. Rien que d'y penser cela m'effraie, jamais, jamais, je ne pourrais, je ne saurais et ne voudrais avoir un ou deux de ces monstrueux petits êtes.

 

Eric que j'ai connu lorsque Michel a voulu gravir le Mont Blanc. Quelle expédition ce fut mais je ne lui en veux pas, j'en ai ramené dans mes bagages ce petit guide qui savait si bien mener sa cordée.

 

A ce souvenir le fil de ma pensée se trouble. Malgré tout je ne veux pas et ne peux pas mettre fin ainsi à une carrière si harmonieusement menée de main de maître. Des années passées à réseauter pour arriver là où je suis. Des années de luttes pour me hisser au sommet de cette entreprise dont l'on disait la présidence réservée aux hommes. Il lui faudra s'armer encore un peu de patience. Lorsque j'aurai bien ancré ma position encore bien fragile car trop récente, je pourrai alors abandonner Michel qui ne me sera plus d'aucune utilité.

 

Je ne suis plus qu'à deux cent kilomètres de mon but.

 

Ce petit café pris dans ce relais d'autoroute et cette courte marche dans la neige qui crisse sous mes pieds m'ont un peu réveillée. Dire qu'après mon rendez-vous avec Monsieur Dumontiel pour lui faire signer ( je n'ai pas le choix : il doit signer ! ) je devrais sûrement accepter de déjeuner avec lui. Déjeuner voulant dire dans ce cas aussi accepter la suite. Je n'aime pas cet homme. Son tour de taille n'ayant rien à envier à sa haute stature. Et ses mains, ses mains ressemblant plus aux battoirs des lavandières d'hier qu'aux extrémités de membres d'humains normaux. Le souvenir de Myriam me glissant lors d'un repas d'affaire qu'une fessée de lui devait être très agréables me font frissonner d'horreur. Je ferme trente seconde les yeux pour visualiser le doux visage d'Eric.

 

- Madame ! Madame !

Le petit garçon et la petite fille qui m'appellent me font sursauter.

- Oui. Mais qui êtes-vous ?

- Moi c'est Pierre et elle c'est Cynthia ma sœur. S'il vous plaît aidez-nous !

Mes mains lâchent le volant. Je recherche dans le miroir du rétroviseur mon reflet mais celui-ci est brisé. Mais pourquoi ma voiture est-elle à l'arrêt ? A côté de moi mon beau renard a disparu, à sa place une jeune femme couchée en travers du siège les yeux grands ouverts, son cou faisant un drôle d'angle.

Mais c'est moi !

Les deux enfants agitent la tête en chœur.

- S'il vous plaît, aidez-nous, nous voudrions dire au-revoir à Papa et Maman mais ils ne nous entendent pas.

Je sens mon cœur se révulser et une violente envie de vomir. Comment cela est-il possible, si ? Si ? Tout à coup une drôle de sensation me saisit. Quelqu'un vient d'arracher ma portière et s'est penché sur ce corps qui fut le mien. Hum mignon ce petit pompier et quels beaux yeux. Dehors la petite fille s'est mise à pleurer. Je quitte à regret ce bizarre mais doux contact.

- Aller, venez.

Ils me prennent chacun une main et alors que nous dirigeons vers le camping-car couché sur le flanc juste devant ma Mercédès, tout s'efface lentement autour de nous...

 

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13 mars 2023

A toi... mon amie, ma sœur de cœur.

A toi mon amie, ma soeur de coeur qui la nuit serre un oreiller froid.

A toi mon amie, ma soeur de coeur qui laisse la télé allumée sur la chaîne d'information, dont la radio ronronne dans les autres pièces pour suivre en direct les actualités.

A toi mon amie, ma soeur de coeur qui fixe l'écran noir déchiré de lueurs froides sur fond de bruits d'explosion, assise dans un coin du canapé serrant tremblante tes genoux dans tes bras.

A toi mon amie, ma soeur de coeur dont les lèvres gardent la marque de tes dents quand tu retiens le flot qui monte de ton coeur.

A toi mon amie, ma soeur de coeur dont les journées et les nuits semblent trop longues.

A toi mon amie, ma soeur de coeur dont les épaules n'arrivent pas à se réchauffer sans la chaleur de son bras.

A toi mon amie, ma soeur de coeur qui tressaille lorsqu'une voiture se gare devant chez toi.

A toi mon amie, ma soeur de coeur qui tremble de devoir ouvrir sa porte à des hommes en uniforme, leur casquette à la main s'excusant déjà du regard de ce qu'ils ont à t'annoncer.

Douce amie, petite soeur que je serre dans mes bras pour l'embrasser, un soir tu éclateras en sanglots de joie en entendant derrière toi le bruit d'un sac que l'on pose et une voix te dire : "Hello ! Je suis de retour !"

5 octobre 2022

INKTOBER flamme

La flamme

 

 

Depuis que tu es parti, je ne suis plus qu’un briquet sans gaz dont tu étais la flamme.

 

Depuis que tu es parti, je ne suis plus qu’une cheminée refroidie qui a perdu la flamme qui la réchauffait.

 

Depuis que tu es parti, je ne suis plus qu’un réverbère éteint qui attend le soir où tu viendras ranimer sa flamme.

 

Depuis que tu es parti, mon cœur n’a plus cette flamme qui le poussait à battre.

 

Depuis que tu es parti, ma vie a perdu la flamme qui lui montré son chemin…

 

Depuis que tu es parti, je peux plus planer dans le courant d'air chaud de ta flamme.

 

 

Depuis que ta flamme s’est éteinte, la mienne brûle encore mais ne réchauffe plus mon âme.

3 octobre 2022

INKTOBER chauve-souris

La chauve souris





Allongés têtes bêches sur la grande table en bois dehors, au milieu du jardin, nos têtes collées joue contre joue, nous observons les étoiles.



Dans la grande maison, ils dorment tous, enfin presque...



La température excessive de ces jours de canicule commence à peine à descendre et à devenir plus agréable.



Ma main claque sur mon mollet où un moustique vient encore de se repaître.

D’un coup Fanfan se relève.

- T’as vu celui-là ?

- Non, il avait quoi ?

- Il était énorme !

- Bah avec les festins qu’ils se taillent sur moi, pas étonnant.

- Non je te jure, celui-là était très très gros et il faisait squizzz sqizzz !

- Oui ... c’était un moustique !

D’un coup debout, inquiète, prête à fuir à l’intérieur du chalet,  elle me montre le monstre.

- Là, regarde, il est encore là !

De ses petites mains, la petite fille me tourne le visage vers elle.

J’appuie sur son nez avec mon doigt.

- Holà, sacré moustique !

- Mais non, là derrière moi, là-haut !

Je suis la direction qu’elle m’indique de son doigt et me mets à rire.

- Ce n’est pas un moustique grosse nouille c’est une chauve-souris. Et au contraire, ça les bouffe.

Elle grimpe sur la table et s’allonge contre moi, m’entourant de son bras.

- Et ça mange quoi d’autre les chauve-souris ?

Sa voix est presque imperceptible.

- Ça dévore aussi les moustiques dans ton genre.

Je sens sa main serrer mon bras puis elle s’assied et met son visage à deux centimètres du mien.

- Tu te moques de moi ?

- Non ! Je n’oserais pas.

- T’es méchant.

- Moi ? Non ! Si un grand frère ne peut pas embêter sa petite sœur, à quoi ça sert alors une petite sœur ?

- A lui faire des câlins, à la protéger des chauve-souris ?

- Tu veux que je te montre une chauve-souris géante ?

- Et elle est méchante ?

- Pourquoi serait-elle méchante ? Purée mais arrête d’avoir peur de tout. Ma chauve-souris, il faut avoir un télescope pour pouvoir la voir car elle se niche très loin de nous, dans la galaxie d’Orion et on la dessine en tirant un trait entre plusieurs étoiles .

- Et il y a des gens qui vivent sur cette chauve-souris ?

- Bien sûr des chauve-souris c’est pour ça qu’on l’a appelée comme ça.

- Et elles sont gentilles ces chauve-souris ?

- Bien sûr, d’ailleurs là-bas, je vois un grand-frère chauve-souris qui raconte à sa petite sœur chauve-souris que dans une galaxie très lointaine qui s’appelle la voie lactée, il y a des gens qui sont comme du lait et c’est pour ça qu…

- Qu’est-ce que vous faîtes encore dehors tous les deux ?

- Papa ! Elle se jette dans ses bras et pose sa tête sur son épaule. Je voulais regarder les étoiles avec lui mais on a failli se faire manger par une chauve souris venue du fond de l’espace pour venir boire notre …

On a jamais su ce qu’elles voulaient boire car Fanfan s’est  endormie...











2 octobre 2022

INKTOBER précipitation

Se précipiter.





- Ne te précipite pas !

Je ralentis mais mes pieds, mes jambes ne m’obéissent pas, sans le vouloir j’accélère le pas.

André me saisit par le bras et me tire en arrière.

Je souris, mal à l’aise.

Ne peut-il pas comprendre que je sois pressé, qui ne serait-il pas pressé à ma place.

- Calme ! Souffle, reprends ton souffle.

Je tente de calquer mon rythme sur le sien, mais petit à petit, j’allonge mes pas.

- Bordel, vas-tu donc t’arrêter de courir ainsi, poses-toi, ne te précipites pas.

- Tu ne peux pas comprendre, tu n’es pas à ma place, mon corps ne fait que suivre mon cœur, plus l’heure avance, plus il bat vite.

- Mais là ce n’est plus de la précipitation c’est du suicide.

Je lui souris.

- Oui, que veux-tu, je sais que je cours à ma fin mais c’est une si douce fin.

Il secoue la tête, les courtes boucles blondes qu’il a réussi à sauver et qu’il camoufle d’habitude sous son calot suivent en doux mouvements lents.



Derrière nous des pas de courses se font entendre.

- Tu vois je ne suis pas le seul à être pressé.

Hélas, celle qui nous rejoint, abonde dans son sens.

- Pas besoin de te précipiter, tu es largement en avance.

Je me tourne pour regarder mes deux témoins.

- Vous me fatiguez, je ne me précipite pas, j’avance juste à mon rythme.

- Non, non, tu te précipites, on dirait toujours que tu cours, tu ne sais pas faire les choses en prenant le temps, on dirait toujours que tu as peur d’arriver en retard comme là, même si tu sais que tu es en avance, alors ralentis.

J’en connais une qui m’appelait monsieur Rapide… mais aller vite est-ce vraiment se précipiter... si ?

Ce que Momo vient de me dire, provoque dans mon cerveau en permanence en ébullition, un tsunami, d’idées, de souvenirs qui se précipitent et m'assaillent en tout sens. Heureusement, je suis habitué à ce genre de précipitation cataclysmique qui me submerge telle une vague me précipitant vers une falaise contre laquelle je fonce et m’écrase souvent lamentablement.

Je stoppe, me penche en avant, mes mains appuyées sur mes cuisses au-dessus des genoux, prêt à vomir.

Maintenant ce sont eux qui se précipitent vers moi, inquiets.

Momo me pose la main sur l’épaule.

- Ça va ?

André sourit goguenard.

- Momo, je préférais quand il se précipitait...



1 octobre 2022

INKTOBER Gargouille

Gargouille vendredi 30 octobre 1970





J’ai 9 ans.

Demain nous serons en vacances, là, avec le collège du moins avec tous les élèves des deux classes de cinquième, je suis au pied de la cathédrale de Strasbourg.

Au-dessus de moi, au-dessus du petit parvis, face aux magasins mercantiles où nous avons admiré les cigognes qui trempent leur bec dans un verre de 's Wisswiglàs1, les statues m’écrasent de leur hauteur. A mon oreille, la voix de père Camerer, bien qu’absent, me souffle mon catéchisme et fronce le nez, n’appréciant pas la leçon que je reçois.

- Tu devrais suivre les autres, je ne voudrais pas t’oublier quelque part. Tu veux me donner la main ?

Je jette un regard outré à Madame Pholl, ma prof de français. Elle m’a bien regardé ?

Je pars en courant me noyer au milieu du groupe de mes camarades, me glissant entre Caths et Annick. Ils écoutent religieusement l’histoire de la grande horloge astronomique. Tout à l’heure, avant d’aller manger nous reviendrons la voir s’animer mais pour l’instant nous avalons les trois centres marches de sa tour.

Là-haut le vent souffle et nous congèle. Nous aurions du écouter les profs et ne passer nos blousons dans le bus.

Encore des statues mais cette fois leurs faces grimaçantes sont effrayantes.

- Suis sûr que t’as pas le courage de mettre ta main dans la gueule de la gargouille.

Je hausse les épaules, me prennent pour quoi ?

Ce n’est pas la main mais l’avant-bras que je glisse derrière les long crocs de l’affreuse face et me tournant vers les mecs, j’affiche un grand sourire provocateur.

- Robert, sors ton bras de là ! Mais ça ne va pas mon petit ?

Je veux sauter du promontoire où je me suis juché pour accéder à la gueule de la gargouille mais je reste trente secondes, bloqué, suspendu dans le vide par ces dents de démons. Je reste ainsi surpris, mes yeux fixant ceux de l’animal monstrueux où il me semble voir passer comme un éclair de vie.

Je m’affale sur le sol carrelé au pied des profs, mais je ne les laisse pas me toucher et dans l’instant je suis déjà debout.

Là-haut, le croc a goûté à mon sang et en garde la trace rouge sur son croc et j’ai l’impression qu’il sourit.

Je suis parmi les premiers en bas de la tour, attendant que les lents adultes nous rejoignent.

J’exhibe mon bras triomphant.

- Tu sais que les gargouilles c’est comme les loups garous ?

Je me mets à rire.

- Mais oui, bien sûr !

- Bin tu verras bien demain, en plus cette nuit c’est pleine lune.

Comme si j’allais croire ma sœur …







Debout devant mon lit, j’enlève de mon ventre la poussière rose et grise qui est restée collée à moi dans mon sommeil.

Rapidement d’une main, je nettoie mon drap, répandant cette fumée transparente sur le sol, sur laquelle mes pieds nus laissent des traces de pas.



Le froid finit de me réveiller et au-delà de ma porte, je dévale les escaliers puis saisissant mes vêtements, je me précipite dehors pour m’y habiller.

Au loin, je vois Caths arriver comme toujours accompagnée de Gérard.

- Ton père t’a jeté ?

Je saisis le croissant et y plante mes dents avant de répondre.

- Non, je ne veux pas qu’ils voient mon bras.

- Pourquoi ?

- Regarde, j’ai encore des restes de cette nuit.

Remontant ma manche, je lui mets sous le nez mon avant bras où l’estafilade garde encore du sable rouge et gris collé.

Je vois d’abord ses yeux s’ouvrir de surprise puis se froncer.

- Oh non, elle l’a fait !

Elle veut m’entraîner à l’intérieur mais je résiste et m’enfuis en courant vers le grand portail de l’hôtel dont je dois ouvrir les lourdes portes puis traîner sur le trottoir les grosses poubelles plus hautes que moi.

Mais déjà le camion des éboueurs s'arrête et Hector s’approche de moi.

- Hé petit c’est toi qui aime les avions ?

- Oui m’sieur.

- Alors regarde, prends ça, j’ai pensé à toi hier. (Me prenant la poignée noire des mains, il la remplace pour un énorme avion en bois fiché sur un socle métallique. Je plie légèrement sous le poids ce qui le fait éclater de rire.) Aller disparais, je finis, toi vas jouer !

Lentement, je retourne chez moi, serrant ce trésor sur mon cœur.

Mon père m’accueille en me le prenant.

- Tu as volé ça où encore ?

- C’est monsieur Hector qui me l’a donné.

- Et bien voilà ce que l’ont fait des ordures !

Mon bel avion disparaît dans les flammes sous les yeux étonnés de mes sœurs et Caths qui apparaissent à cet instant en bas des escaliers !

Alors brandissant mon bras, je hurle à mon père :

- Ce soir, je te déchirerai et te dévorerai !



Peu de temps après, les yeux aussi rouges que mes fesses, je marche en reniflant vers le collège devant Caths qui n’en finit pas d’insulter Annick.



1Verre de vin blanc

20 août 2022

la fugue

 

 

 

 

Ce soir, j’ai pris une grande décision. Je ne veux plus rester une nuit, voir un jour de plus dans cette maison.

Alors quand je n’ai plus entendu de bruit. Je me suis habillé, et j’ai pris mon cartable, car tout de même demain j’ai classe !

Puis sans bruit je me suis glissé hors de la maison.

De toute façon demain, c’est la fête des pères et moi je ne veux plus le voir, je ne veux pas lui souhaiter car je le déteste.

En tout cas, c’est décidé, moi, puisque je suis un homme, je vais vivre seul !

Les deux portails sont fermés à clef et je suis trop petit pour passer dessus et trop grand passer dessous.

Je partirai demain.

Le nez en l’air, je regarde les nuages lentement recouvrir le disque lunaire. J’aimerais bien faire comme elle, me mettre au chaud sous mon épaisse couette blanche.

Et là, il commence à faire drôlement nuit et je commence à avoir un peu peur.

La main droite contre le mur après le grand portail, je m’enfonce dans le petit bois qu’il y a au fond du jardin.

Je ferme les yeux, à quoi ça sert d’en avoir quand on ne voit plus rien ?

Je fais des tout petits pas malgré ça, mes pieds s’accrochent à pleins de chose.

- N’aies pas peur, ce sont des racines. N’aies pas peur ce ne sont que des feuilles. Cette bonne odeur c’est le lilas et ce sont ses branches qui t’agrippent les cheveux. Tu ne dois pas avoir peur, c’est ce que dit toujours Papa, tu n’es plus un enfant, t’es un homme mon fils !

Et bien non, je ne suis pas un homme, je n’ai que six ans, moi.

Quelque chose a frôlé ma tête en hululant et un grand vent a soufflé autour de moi.

Je m’accroupis et reste comme ça, en boule, serrant mes jambes, les yeux encore plus fermés.

- Maman, Papa, venez me chercher.

Je tends la main, le mur n’est plus là. Il n’est pas de l’autre côté non plus. A quatre pattes j’avance et d’un coup, plus rien ! Ah si, un bruit d’eau. Le petit canal qui coule au fond du jardin.

Je me couche à côté, ce bruit doux que je connais me rassure et je m’endors la tête sur mon cartable.

 

 

Qui parle ?

J’ouvre les yeux.

La Lune a rejeté sa couette et éclaire d’une lueur blafarde de drôles de petits bonhommes, certains tout verts, d’autres gris, qui l’un derrière l’autre sortent de l’eau en montant par l’échelle que Papa a fixé avec de grosses chaînes pour que le courant parfois violent en hiver, ne l’emporte pas.

Qu’ils sont drôles ces petits bonhommes.

Demain quand je raconterai ça à maman, elle ne me croira pas, j’en sus sûr !

Ils ont de grosses têtes avec des yeux tout ronds et une grande bouche qui sourit.

Je ne bouge pas, je veux pas leur faire peur.

Combien y en a-t-il ? Je ne sais pas, des dizaines ? Des centaines ?

Et tous parlent à la fois mais je ne comprends pas ce qu’ils disent. La maîtresse dirait : «arrêtez de croasser tous ensemble !»

Puis d’un coup, plus un bruit. Et les voilà qui plongent tous comme un seul homme dans l’eau.

- Non ! Ne me laissez pas !

Alors je me lève et je vais jusqu’au bord du petit canal, je les vois nager et s’éloigner.

- Attendez-moi, attendez-moi, je viens avec vous !

Je sais que je ne dois pas, que c’est dangereux, mais cela m’est bien égal.

A plat ventre, je me laisse glisser jusqu’au premier barreau puis le second barreau. Je pousse un cri quand l’échelle tangue en s’éloignant du bord du mur.

Là Papa dirait :

- Ne bouge plus, je te tiens ! Sa large main m’attrape par le bras et je m’envole jusque dans ces bras. Il rit. Alors, tu allais chasser les grenouilles ?

Il me passe à Maman qui me serre dans ses bras.

- Karl, tu me feras le plaisir demain d’enlever cette échelle. Et toi, pourquoi es-tu donc parti ? Nous avons eu très peur.

- Papa, il m’a pris mon Jeannot et m’a dit que je n’en avais plus besoin car j’étais un homme maintenant.

- Mais c’était juste pour le laver !

 

20 août 2022

Romain et l'échelle

 

 

Romain fait toujours un large détour pour ne pas passer devant la vieille échelle depuis toujours fixée le long du quai. Enfin, entendons-nous en disant large, car le quai mesure un mètre cinquante à peine de large.

De drôles d’histoires tournent autour de cette échelle.

Mais Papa m’a dit qu’elle sert aux pêcheurs à pied lors des grandes marées. Je préfère le croire lui.

Mais je suis un garçon prudent et j’évite de passer trop près d’elle, on ne sait jamais.

 

Mon père c’est le chef de la capitainerie du Port. De temps en temps, il se sert de moi comme messager et là je dois porter un papier au trimaran gigantesque amarré tout au bout de cette jetée.

 

Donc ce soir une feuille de papier pliée en deux, coincée entre mon pouce et mon index, j’essaie de me dépêcher surtout que c’est une nuit sans lune et que c’est la plus longue jetée. Du coup, la faible lumière tressautante du lampadaire devant la tour de la capitainerie, ne l’éclaire pour ainsi dire pas.

 

 

Monsieur Didier le propriétaire du trimaran m’accueille gentiment, me remercie de lui avoir apporter le document et me propose, un jus de fruit que je refuse poliment. J’ai surtout hâte d’être de nouveau au chaud à côté de mon père.

 

 

Quand on marche sur la jetée bien qu’elle soit en béton, on a l’impression qu’elle tangue. Le plus drôle ce sont les jours de tempête où les vagues tentent de t’avaler comme si elles étaient les tentacules d’un Kraken liquide.

 

En faisant bien attention de ne pas tomber à l’eau, non que je ne sache pas nager, mais en cette saison, elle très froide. Mes pieds rasent le bord de la jetée à l’opposé de l’échelle. Ce soir la mer est d’huile pourtant j’entends un clapotement et mu par une curiosité dangereuse je m’approche de ce bord maudit puis part en hurlant devant le monstre noir et bossu, à la tête oblongue surmonté d’une corne qui émerge devant moi. Autour de lui, d’autres gargouillements m’indique qu’il n’est pas seul.

 

 

Là-haut dans la lumière vive qui d’abord m’éblouit puis me rassure, je me jette contre mon père pour entourer sa taille de mes bras, collant mon visage mouillé de larmes à sa vareuse râpeuse.

- Holà mon fils que t’arrive-t-il ? Qu’est-ce qui a pu ainsi t’effrayer ? Mais d’ailleurs n’aurais-tu pas aperçu l’équipe de plongeur qui devait être remontée maintenant ?

 

 

16 août 2022

l'aire d'autoroute

Les aires d’autoroute j’aime et je déteste et si je devais compter le nombre de fois où avec mes parents puis avec mes diverses compagnes, je me suis arrêté sur une de ces fameuses aires, je dépasserais facilement le millier.

 

D’abord enfant, où avec mes sœurs, nous pouvions pendant un cours temps échapper à la contrainte de rester assis plus ou moins silencieux car six enfants qui parlent en même temps (parler dans le meilleur des cas) ça finissait vite par taper sur le système de notre pauvre père. De plus pour le ventre à pattes que je devins vite, ces arrêts signifiaient aussi, la possibilité d’engloutir un ou deux sandwichs.

Et je me rappelle nos courses effrénées pour être le/la première aux toilettes et ensuite avoir le temps de passer en revue le contenu de l’incontournable petite boutique, puis les supplications de mes sœurs pour que les parents achètent telle chose ou autre, ce qui avait un avantage, nourrir nos discussions jusqu’à l’aire suivante.

 

Puis j’ai vieilli et je me revois à cette veille de 14 juillet en uniforme rutilant, descendre de ce bus sous une pluie battante et courir envahir cette petite station d’autoroute avec tous mes camarades de bleu vêtus. Il était poltron minet et en dehors de la jeune caissière aucun autre client que nous, la pauvre que je la plains rétrospectivement.

 

Puis j’ai encore vieilli et j’ai remplacé mon père…

Mais je crois que j’ai fait plus fort que lui en y oubliant un jour ma douce et tendre épouse… si je devais en mourant ne me souvenir que d’un souvenir ce serait de celui-ci.

Imaginez un jour d’Août où vous devez être rendu chez vous le soir même car vous reprenez le collier le lendemain matin. A l’arrière des jumeaux  assoiffés et affamés, pour qui, à cause de qui, nous prenons la décision d’un arrêt rapide où ma tendre irait se quérir de boissons et de glaces.

Et en cet ancien temps où nous ne connaissions pas encore les téléphones portables.

Elle n’était pas sorti depuis trente secondes que mes doux enfants commençaient à me demander quand est-ce qu’elle revenait ?

J’avoue que mon esprit n’était déjà plus en mode vacances et je pense qu’il en était de même pour l’olibrius qui me suivait et martyrisait son klaxon.

Je ne voulais pas me garer, juste rester en double file, j’ai donc décidé d’aller attendre un peu plus loin en espérant un peu d’ombre quand j’ai loupé un embranchement (que celui qui n’a jamais fait d’erreur me lance la première pierre.) et au lieu de rester dans la boucle permettant de rester sur le parking, je me suis retrouvé de nouveau lancé sur l’autoroute.

Mon pauvre volant n’a pas du apprécier le coup de poing qu’il a pris mais j’ai vite relativiser en me disant que je sortirai au prochain péage pour revenir très vite. Je ne me faisais pas de soucis pour mon doux amour qui m’attendrait sûrement calmement et dont j’accepterai de subir les moqueries bien méritées.

Par contre, je n’avais pas prévu la bombe H qui venait d’exploser juste derrière moi. Avez-vous déjà eu dans votre propre voiture la sirène qui hurle tous les premiers mercredi midi de chaque mois. J’ai aussi pris conscience que si un jour, je voulais me séparer de leur mère, je perdrai aussi mes enfants. J’ai aussi découvert qu’à cet âge là, ils peuvent vous démonter toutes vos certitudes sur leur innocence. Et franchement durant la demi-heure que dura cette boucle infernale, je pris plus cher qu’à mille pieds avec des roquettes aux fesses.

Assise à l’ombre sur un banc elle avait mangé les quatre glaces et me força à me garer et ceci fait, d’aller moi-même en racheter.

Je dus aussi supporter jusqu’à la maison puis pendant plusieurs jours le récit en boucle de leur enlèvement.

Et trente ans après, dans notre famille, lorsque l’un de mes enfants, même leurs plus jeunes frères et sœurs, s’arrête sur une aire d’autoroute, il ne peut s’empêcher de dire à sa moitié : «t’inquiète, moi je ne t’oublierai pas.»

 

 

16 août 2022

la foudre

Michel court, en fait il ne sait plus s’il court ou s’il vole. Il dévale la montagne sans vraiment regarder où il met les pieds, la seule chose qu’il sait que là-haut il a laisser André et Claude.
Ses yeux voient sans voir les obstacles qu’il évite par réflexe.
Seuls les éclairs viennent avec intermittence éclairer sa route et lui rappeler pourquoi il court : là-haut il a laissé André et Claude.
Lorsque enfin ses pieds viennent en contact avec le bitume, il trébuche mais rien n’arrêtera sa course car là-haut il a laissé André et Claude.
Il y a de la lumière derrière la fenêtre de la première maison du bourg. Il n’ira pas plus loin, il ne toque pas, la famille autour de la table regarde le « compte est bon », la porte a claqué lorsqu’il l’a ouverte .
- Vite ! Là-haut dans l’abri du père Benoit , l’orage , la foudre, vite il va mourir !
Puis il s’écroule.
Quand Michel se réveillera, il est dans son lit. Devant lui sa mère et celles d’André et Claude.
- Vite là-haut dans…
- Oui oui calme-toi, les hommes sont déjà partis et la gendarmerie est prévenue et va les rejoindre. Mais si tu nous racontais ?
Mais Michel ne racontera rien il n’y arrivera pas, Michel ne reparlera pas avant 2 ans, ses cauchemars seront plein d’orages, d’éclairs, de ces éclairs qui accompagnent les orages d’été là-haut sur les hauteurs des Pyrénées. Mais surtout du rire d’André qui a trouvé trop cool cette boule de feu qui est entrée par la cheminée et qui tourne, tourne dans la petite pièce de l’abri de berger du père Benoit. De son rire qui se transforme en hurlement quand elle le transforme en torche , lui qui a choisi de s’asseoir sur la boîte à biscuits en fer pour ne pas s’asseoir par terre.
26 juillet 2022

Oda 3 : retour 3

Oda 3 : retour 3

 Lorsque Mellia me tend la main pour me hisser derrière elle, fièrement, je veux lui montrer que je sais moi aussi monter à cheval et que je suis un assez bon cavalier. Mais au lieu de m'en féliciter, elle me jette à bas du cheval et me roue de coups.

Ensuite elle me remet debout et me lie les poignets avec la corde qu'elle conserve autour de son pommeau de selle, puis est remontée sur sa jument, elle ne me tend pas la main mais au contraire met son cheval au trot. Pendant plusieurs heures, je dois la suivre en courant. À la fin, je suis tellement fatigué et les pieds en sang que je pleure en l'implorant.

Et encore si ce n’était que les pieds. Plusieurs fois, je suis tombé. La première fois je me suis laissé traîné mais j’ai vite compris qu’elle ne s’arrêterait pas, alors difficilement je me suis redressé car j’ai compris que sinon, j’allais mourir.

ET JE NE VEUX PAS MOURIR ! Je veux vivre pour pouvoir retourner chez moi.

 

- Tue-le de suite, tu n'en feras rien. Je pense que si je fais trotter le mien comme lui, il résistera plus longtemps.

- Non, on va s'arrêter pour manger et après je le prendrai avec moi. J'aimerais arriver avant la grande lune. Et puis regarde, il se remet debout à chaque fois. Il n’est pas aussi faible qu’il n’y paraît.

- Alors tu es toujours bien décidée.

- Oui, les anciennes déciderons.

- Bien ! Les anciennes déciderons.

 

Je finis le voyage derrière elle sur le cheval jusqu' au pied d'une profonde forêt. Là, elle me jette au sol et elle même comme les autres femmes mettent pied à terre.

Les arbres y poussent tellement serrés avec de telles ronces entre eux que d'après moi, même un lièvre ne pourrait y pénétrer.

Mais elles déplacent des troncs secs et un sentier s'ouvre devant nous, et y font avancer les chevaux devant nous, qui avec un petit hennissement et en piétinant joyeusement nous montrent qu'ils reconnaissent où ils sont. Elles replacent ensuite troncs et ronces et le sentier redevenir invisible de l'extérieur.

Il ne fait pas plus d'un mètre de large, juste ce qu'il faut pour le passage de leur petites juments.

Au sol, un épais tapis de mousse et de lichens, étouffe le bruit de nos pas et j'en apprécie la douceur sous mes pieds à vif.

Au bout du sentier, pas de ronces. mais des vergers puis des champs à perte de vue entourent un village fortifié ou plutôt une petite ville.

 

À peine en avons-nous passé les lourdes portes, qu'elles nous confient à des hommes.

Ces derniers sont nus et vu comment leur peau est uniformément tannée, on peut facilement comprendre qu'aucun vêtement ne les couvre jamais.

 

Je veux voir où vont les trois amazones et je prends un coups de fouet en travers du visage d'une des sentinelles. L'homme qui me tient par le poignet pose alors sa main sur ma tête pour me forcer la baisser, mais je me rebelle et regarde en me redressant celle qui m'a frappé. Et si ce n'est le choc du second coup quelle me donne, c'est sa laideur qui m'effraie le plus et me font suivre les hommes en regardant le sol.

Comment peut-on être encore en vie avec tant de cicatrices ?

Dans la pièce où ils nous ont emmenés, il y a de grandes cuves où surnagent des pièces de vêtements.

Il y fait une chaleur étouffante.

Le sol est dallé, un peu sur élevé, légèrement en pente vers l'extérieur. Entre les dalles, des rigoles permettent à l'eau qui déborde d'être évacuée à l'extérieur vers les champs.

 

Je pousse un cri quand on me verse plusieurs seaux d'eau très chaude dessus et veux m'enfuir mais deux hommes me maintiennent sans pitié.

Je suis ensuite étrillé sans douceur même dans les recoins les plus intimes de mon corps. Pour finir, je suis rincé à l'eau glacé. C'est un ado à peine plus âgé que moi qui me brosse les cheveux puis les attache en une sorte de grosse queue de cheval sur le sommet de mon crâne. Et là, je remarque que tous ont le crâne et tous les poils du corps sans exception rasés.

 

Ils me fixent une sorte de pagne en tissus noir sur mon entrejambe tenu à la taille par une cordelette bleue. Autour de moi, tous en portent une mais de différentes couleurs. L'un d'eux en portent trois, les trois sont bleues alors que l'homme qui me tient en a une jaune et une violette.

 

 

- Tu as faim ?

- Oh, vous savez parler ?

- Bien sûr quelle drôle d'idée. Maintenant, veux-tu manger ?

- Oh oui.

- Alors viens. Je le suis, nous sortons de la maison et commençons à traverser le village. Baisse la tête, où tu vas te faire frapper.

- Mais pourquoi ?

- Tais-toi, tu ne n'as le droit de parler que si elles te l'autorisent.

- C'est injuste.

Mais je baisse la tête car j'en ai déjà marre de prendre des coups.

Nous arrivons dans une autre maison où j' hume avec plaisir la bonne odeur de la fenaison et du poisson.

il me fait asseoir à une table où des hommes se restaurent.

Dans leurs assiettes, des légumes, des céréales et du fromage.

Mon guide pose devant moi, une assiette en bois avec le même contenu.

- Pourquoi tu ne m'as pas donné de viande et de poisson ? Chez moi, même les plus pauvres y ont droit.

- Et bien ici c'est réservé aux amazones, et elles seules ont le droit de chasser et de pêcher. Il faudra t'y habituer car dorénavant ton "chez toi" c'est ici mon gaillard. Par contre de ce que je je t'ai mis dans l'assiette tu peux en manger autant que tu veux et quand tu veux.

- Varia, non, dis-lui plutôt quand il pourra et en faisant vite. Bon courage gamin mais si tu veux arriver à survivre apprends vite et sois plus malin qu'elles, mais surtout retiens bien qu'elles ont tous les droits et toi aucun. C'est laquelle qui t'a ramené ?

- Je crois qu'elle s'appelle Mellia.

- Hum, tu as de la chance. Elle espère sûrement faire de toi son reproducteur, tu aurais pu tomber sur pire. Ne fais pas comme moi, ne déçois pas ton amazone, ne fais pas comme moi. Et dernière chose, méfies-toi de la vieille Dakia c'est la pire des pires de toutes.

- Je la reconnaîtrai comment ?

L'homme est déjà parti après avoir posé son assiette vide dans un grand bac où s'en trouvent déjà des dizaines d'autres.

-Tu restes là et tu m'attends compris, je reviens te chercher.

Autour de moi, les plus jeunes sont déjà ados, aucun enfant. Où sont passés le jeune enfant et le bébé qui ont voyagé avec moi. Lorsqu'un homme me regarde, il sourit puis détourne le regard.

Un vieux, si je peux dire car je n'arrive pas à donner d'âge à ces hommes qui pour moi se ressemblent ou presque et aussi je ne vois aucun estropié, les cacheraient-ils ?

Un autre homme en passant à côté de moi, me tape sur l'épaule et se penche à mon oreille.

- Sois brave, ne cries surtout pas, c'est un signe de faiblesse pour elles. De toute façon, cette douleur comme les autres, finira par s'arrêter.

J'ai fini de manger, j'imite les autres pour mon assiette. Je décide de visiter, de regarder où je suis.

La nourriture que nous pouvons manger est dans d'énormes chaudron que des ados touillent au-dessus de gros braseros que d'autres alimentent avec du bois.

Derrière eux, des hommes font cuire de la viande et des poissons sur de grandes dalles de pierre chauffées à blanc.

De l'autre côté des dalles de cuisson, des hommes se font servir dans des assiettes en argent, de la viande et du poisson ainsi que de légumes et de céréales mais aussi du fromage et des fruits dont certains me rappellent la maison. Mais là, je donnerais n'importe quoi pour boire un peu du lait de mes nourrices. Le fait d'y penser fait gonfler de larmes mes paupières. Je veux rentrer chez moi, ici, je ne suis pas chez moi !

Les ados me regardent tous, aucun ne sourit, au-contraire ils détournent la tête.

Je vais jusqu'à la porte et me collant au mur, je soulève la peau qui la ferme.

Dehors, il fait presque nuit. Je ne vois plus aucune amazone, seul des hommes vaquent encore à leurs occupations.

Au loin, je vois les fortifications. Cette maison semble au centre de la petite ville. Je me dis qu'en courant vite, je pourrais y arriver sans problème puis en les longeant, je trouverais bien le moyen d'en sortir.

 

 

 

26 juillet 2022

Oda 3 : retour 2

Oda 3 : retour 2

 

Mellia n'a pas d'homme qui l'attend à la grande ville que ses sœurs ont libérée.

Alors, bien avant, elle se sépare de ses sœurs et avec deux autres célibataires décident de retourner directement au village.

 

Elle n'est pas la seule à ne pas rentrer seule. Solia et Aria ont, quant à elles, porté leur dévolu sur deux bébés mâles retrouvés sur le corps de leur mère décédée.

 

 

Je suis de nouveau ficelé contre elle. Elle pue mais je ne dois pas sentir meilleur.

J'ai faim.

Je sens ses seins, je pense à mes nourrices. Pourquoi les dieux ont-ils décidé d'ainsi m'affliger ?

J'ai mal partout, j'ai l'impression que ma tête va exploser. J'ai mal au bas du dos où quelque chose de dur frotte ou tape selon l'allure du cheval. De plus, lorsque nous galopons, elle est penchée sur moi et me plie en arrière en m'appuyant douloureusement dessus.

Elle porte une sorte d'armure en cuir et en métal, et ma peau nue frotte dessus. Pour l'en protéger, j'ai réussi à glisser mes mains entre elle et mon sexe.

Je suis assis les jambes autour d'elle et à chaque mouvement du cheval ou de la femme, j'ai l'impression d'être un peu plus écartelé.

 

 

Il nous reste encore une bonne route avant d'arriver au village alors nous décidons de faire halte, les deux jeunes enfants ayant besoin de manger et de boire.

 

Les chevaux sont libérés mais aucun ne s'éloigne, au contraire.

Mellia s'amuse de la curiosité de sa jument qui vient poser son naseau sur la tête du garçon qu'elle est en train de libérer.

À genoux, elle le pose à plat dos sur la rive du petit ruisseau qui serpente sans bruit dans la large plaine.

Lentement, il étend les jambes. Il frissonne.

Dans une des sacoches de selle, posées à côté d'elle, Mellia prend un bol qu'elle plonge dans l'eau et qu'elle verse sur l'enfant. Il pousse un petit cri de surprise sous l'eau froide. De la sacoche aussi, elle sort une longue cordelette qu'elle fixe à son poignet et au sien. Mais avant, elle se redresse et commence à se dévêtir. Elle a peu de chose à enlever. son plastron et la robe de coton blanc qui s'arrête au-dessus de ses genoux. Elle garde le léger pagne qui couvre son intimité.

 

Je force l'enfant à se lever pour le faire entrer dans l'eau avec moi.

Il semble épuisé, il fait les quelques pas en titubant et se laisse tomber dans l'eau avec un soupir d'aise.

Je suis inquiète, il semble si fragile, résistera-t-il à la vie qui sera dorénavant la sienne.

Il m'amuse, il boit l'eau comme un jeune chiot.

Je le redresse et lui tend le bol qu'il saisit pour boire avidement.

À genoux, au milieux du courant, Je frotte mes cheveux et mon corps avec les fleurs que j’ai cueillies sur le rivage. Il la regarde puis se lève, et semble chercher quelque chose. Il va vers le rivage mais la cordelette l'empêche de l'atteindre. Je l'attire alors vers moi et avec le reste des fleurs le savonne à son tour.

Il a la peau si douce et presque transparente.

Le sang séché a collé tous ses cheveux sur l'arrière de sa tête. Je le force à se coucher et doucement sans frotter met à jour la blessure qui n'est guère profonde. Par contre son ventre et son torse sont à vif et je voit son visage se contracter lorsque je passe ma main dessus.

 

Les deux autres jeunes femmes sont déjà sorties de l'eau. Comme Mellia, elles ont passé une cordelette au poignet des bébés. Mais pour pouvoir s'activer à préparer la nuit, elles ont attaché l'autre bout de la cordelette à un jeune arbuste.

Je les rejoins mais je sais que si je détache la corde de son poignet, il prendra la fuite.

Pendant que ses sœurs se partagent la préparation du feu et d'un endroit plat autour pour y dormir. Je dois fournir le repas.

Je s'éloigne en tenant le garçon par la main. Il me suit docilement.

Lorsque j’estime s'être suffisamment éloignée, je me poste à l'ombre d'un saule, debout puis le fait s'accroupir. L'arc bandé, je ne bouge plus. Je sais que les poissons abondent au pieds de ces arbres.

Bientôt on n'entend plus que le bruissement de l'eau.

Un léger effleurement de ma cheville me fait baisser les yeux, juste, d'un doigt tendu, il m’indique un lièvre qui s'abreuve. La flèche siffle et l'animal s'écroule.

- Attends !

Avant même qu'il ne se précipite, je lui dis de rester immobile en chuchotant. Ses épaules s'abaissent et il ne bouge pas. Deux autres lièvres viennent renifler leur frère ou leur sœur peut-être et s'écroulent à leur tour.

Deux autres flèches partent plaquer au fond du ruisseau deux grosses truites.

Il a les yeux levés vers moi. Oh oui, il y voit bien ! Et dans son regard, fière et heureuse, je peux lire de la surprise et de l'admiration.

 

 

Pendant que le fruit de la pêche et de la chasse cuit, les jeunes femmes font aussi venir dans l'eau les chevaux qu'elles brossent longuement. Le garçon caresse la jument préférée de Mellia. D'habitude assez sauvage avec toute autre personne que Mellia, là, elle joue à le pousser de son naseau jusqu'à ce qu'il tombe sur les fesses dans l'eau et alors Mellia est sûre de voir sa sœur à quatre pattes, rire.

 

 

De chaque côté de moi,à ma droite et ma gauche, sont posé, soi une pile de bois, soi ma clepsydre, qui m’indiquera quand réveiller Solia.

Mes sœurs se sont couchées avec leur bébé dans leurs bras enveloppées dans leur couverture.

J’ai fait mettre le garçon à genoux face à moi puis ouvrant une petite bois en bois verni, du bout des doigts,

j’en sors un onguent que je passe en effleurant sa peau irritée. Seules des grimaces fugitives me montrent qu'il a mal.

Il me fixe silencieux.

Une fois terminé, elle le fais se tourner puis l’enveloppant dans ma couverture, je le force à se coucher sur le côté comme un nouveau-né dans le berceau que forment mes jambes écartées puis je ramène mes pieds vers lui. Il a posé sa tête sur ma cuisse.

Tout comme pour son torse, je lui applique de la pommade, doucement, tendrement avec les gestes d'une mère, sur l'estafilade au cuir chevelu mais aussi sur la joue, là, où elle l'ai frappé.

 

 

10 juillet 2022

Oda 3 : retour 1

Oda 3 : retour 1

 

 

Mellia pince durement la cuisse maigre de l'enfant dont elle sent la prise se relâcher.

Sans permettre à son cheval de ralentir, elle entoure les rênes autour du pommeau de sa selle puis se tourne pour saisir de sa main gauche la jambe droite du jeune garçon pendant que son bras droit se glisse sous son bras gauche. L'instant d'après, il est assis sur ses cuisses face à elle.

Il n’a pas crié, mais ses yeux reflètent sa peur avant qu’il n’ai posé sa tête contre son torse, peut-être pour ne plus voir ce qui l’effraie. Ses bras la serrent et elle sent ses mains agrippant son court plastron.

Déroulant l'écharpe qui enserre sa taille comme une ceinture, elle la passe dans le dos et sous les fesses de l'enfant, le plaquant contre son torse à elle, puis la passe dans son propre dos pour venir la nouer dans le dos du gamin, sa joue plaquée contre le haut de sa poitrine.

Ainsi, il ne font plus qu'un et il ne risque plus de tomber. D'habitude ce sont les bébés ou les jeunes mâles d'à peine un printemps ou deux qu'elle porte ainsi, mais elle n'a pas le choix si elle veut le garder en vie.

Elle rejoint les autres amazones qui sont d'abord surprises de voir l'enfant puis leur regards devient narquois pour enfin ne plus rien exprimer.

C'est son choix et même si elles ne feraient pas le même choix, elle acceptent celle de leur sœur.

 

 

Un sifflement ondulant réveille Mellia qui dormait couchée sur sa monture qui comme celle des autres, depuis le milieu de la nuit a adopté un trop, souple et léger. Rapidement elle se saisi de son arc et de plusieurs flèches dont elle n'en engage qu'une.

À l'horizon, loin sur la plaine, un léger nuage de poussière lui indique que ceux qu'elle poursuit ne sont plus très loin.

Les amazones alors, s'alignent en une longue file, le premier cheval urine, humidifiant la terre sous les sabots de ceux qui le suivent puis se déporte et s'arrête. Sa cavalière lui met sous le nez une sorte de seau souple où elle vide le contenu d'une outre souple. Bientôt le second cheval fait de même alors que déjà le premier se place en queue. Ainsi à tour de rôle il évitent à leur clan d'être dénoncé par ce qui trahit l'autre groupe.

Oda sent l'urine de sa cavalière couler puis l'odeur bien particulière de celle de la jument.

 

Dégoûté, je frissonne aussi de peur car je vois l'amazone saisir son arc et je comprends que nous allons au combat. Tout mon corps se raidit.

Je ne vois rien, le tissus me recouvrant le visage et me plaquant la tête contre elle sous son menton, je dégage ma main droite et la glisse le long de son flanc et la plaque dans dos, laissant l'autre en protection sur mon entrejambe. Je me redresse un peu, me collant d'avantage à elle avec répugnance. Mais de sa survie dépend la mienne et puis peut-être retrouverai-je mes sœurs et ma mère.

- Si tu tiens à la vie, arrête de bouger petit homme.

D'un coup, les amazones lâchent les rênes des chevaux surnuméraires qui leur permettent en changeant de monture de toujours garder des chevaux capables de les porter. Ces derniers à peine libérés, s'immobilisent.

La charge commence.

Mellia est frustrée, à cause de l'enfant, son cheval alourdi, ne la maintient pas en tête du groupe.

Elles forment trois lignes.

Chaque ligne, l'une après l'autre se redresse sur leurs étriers et debout tire une flèche. La pluie de dards meurtriers forme une onde régulière qui suit le mouvement des fuyards tentant de fuir au galop. Mais les amazones visent avec adresse les premiers cavaliers qui en tombant font chuter les suivants.

Bientôt ,elles les rejoignent, et, sans les approcher pour éviter le corps à corps trop dangereux, elles forment une ronde infernale dont les traits précis abat sans aucune pitié tous les hommes.

L'un après l'autre, les chevaux sans cavalier s'égaillent et alors que la moitié des guerrières descendent de cheval pour faire le tri entre les morts et les blessés qu'elles achèvent, les autres coursent les montures esseulées pour les ramener avec elles.

Soudain un long sifflement retenti et au loin, on voit les chevaux jusque là immobiles se mettre docilement en mouvement pour les rejoindre.

 

Déjà les morts sont dévêtus et tous leurs effets chargés sur les chevaux. Deux des jeunes femmes qu'ils avaient emmenées avec eux ont été tuées, une autre a la jambe brisée et Faria la guérisseuse déjà s'active à la soigner. Mais déjà, elles l'installent au mieux sur le dos d'un cheval car le retour sera long et pénible.

 

Mellia libère un peu le jeune garçon qui la repousse et tourne la tête en tout sens. Elle le gifle violemment puis lui tend un biscuit.

 

- Je ne suis pas un animal mais un homme libre !

- Non, plus maintenant. Dorénavant tu es et seras le mien. Puis elle prend un ton plus doux, presque cajoleur. S'il te plaît ne m'oblige pas à te frapper, cela ne me plaît pas.

 

Alors ça, j'ai du mal à le croire. Elle peut se le garder son bout de je ne sais pas quoi ! Je veux voir les femmes qu'elles ont libérées. Je redresse fièrement la tête.

- Où sont mes jeunes sœurs et ma mère ?

L'amazone surprise sourit puis fait avancer sa monture de façon à ce qu'il voit mieux les survivantes mais elle doute qu'elles en fassent parti car ces femmes ont toutes au moins vingt étés et trente au plus.

- Vois-tu ta mère ?

Pour toute réponse, il se met à pleurer en posant son front contre elle. Émue, Mellia baisse sa garde et pose une main sur sa nuque comme elle le ferait à une amie.

 

En tout cas, elle ne me gardera pas prisonnier ! Plutôt être mort !

 

Mellia sourit tout en maintenant la tête du garçon inconscient. En essayant de saisir son couteau, il lui a prouvé qu'il avait du courage, une qualité qu'elle apprécie mais qui peut aussi compromettre ses chances d'en faire un bon reproducteur et cela la peine.

De ses doigts, elle peigne les longs cheveux qu'elle attache avec un cordonnet de cuir. Un jour, elle l'espère, il ne la détestera plus.

 

 

6 juillet 2022

Oda 3 : Mellia

Oda 3 : Millia

 

 

Les Monstres que nous poursuivons depuis plusieurs jours, nous les connaissons hélas, que trop bien. Cela fait un certain temps que nous les pourchassons sans répit mais surtout sans résultat.

Mais là, le hasard a voulu que malheureusement deux de nos éclaireuses tombent sur ces monstrueux colosses. Les deux ont été capturées mais l'une d'elle a fait le sacrifice suprême pour que l'autre puissent se sauver et venir nous prévenir.

Le groupe dont je fais parti, a laissé aux autres sœurs trop âgées, le devoir de pleurer et d'honorer ces deux courageuses.

Et je suis fière de partager le sang de celle qui a donné sa vie.

Laissant malheureusement derrière elles deux jeunes fillettes.

J'ai eu du mal à convaincre les mères et surtout ma mère à me laisser partir pour aller la venger. Je n'y ai réussi qu'en lui promettant lors d'une discussion en tête à tête que cette fois, je ne reviendrai pas seule.

 

Nous laissons nos hommes et nos jeunes enfants derrière nous. Nous les retrouverons dès que nous repasserons pour retourner chez nous. Enfin leurs femmes car moi, je n'ai pas encore choisi celui qui portera mes enfants.

En attendant notre retour, ils soigneront et reconstruiront ce qu'ils pourront.

Nous, les guerrières, notre mission est de rattraper ces malfaisants et pour cela, nous poussons nos petites juments au maximum. Nous mangeons, nous dormons sur le dos de nos "filles de l'air" sans jamais mettre pied à terre même pour changer de monture.

 

Hélas, dans une clairière, le coeur rempli de tristesse et de haine, nous faisons halte.

Nous regrettons alors amèrement de ne pas avoir nos reproducteurs.

À nous la pénible tache de ramasser les corps nues de toutes ces femmes et de ces fillettes que ces chiens ont souillées avant de les abandonner au bord du Styx.

Nous les pleurons et les préparons avec l'amour qu'une sœur doit à une autre sœur, avant de les remettre entre les mains de notre mère à toutes : Diane qui règne sur le Monde des morts.

 

A l'écart, gît un enfant mâle au longs cheveux presque blancs tellement ils sont clairs.

Mellia le saisit délicatement dans ses bras. Il ne pèse presque rien et son cœur se serre devant toutes ces morts inutiles.

Doucement avant de se relever avec son funeste fardeau, elle caresse le doux visage au traits si fins. Elle adresse une prière à la mère pour qu'elle lui fasse bon accueil bien qu'il ne soit pas du bon sexe.

- Vite, Faria, j'ai besoin de toi, cet enfant n'est pas mort. Le petit garçon a ouvert des yeux, d'un bleu plus pâle que l'eau des sources. Hélas, regarde, il est aveugle comme les plus vieilles.

- Non Mellia, vois comme il te fixe. Il a une plaie à la tête mais sinon il semble aller. Mets-le debout.

Les deux guerrières sourient en se regardant lorsqu'à peine debout, un peu chancelant, les yeux clignant sous l'âpre soleil de midi, de ses mains, il cache son entrejambe.

- Faria, il a quel âge d'après toi ?

- J'ai bientôt 11 printemps.

Sa voix est encore aigu avec ce léger trouble qui annonce l'âge du changement.

- Tiens, tu comprends donc notre langue ?

- Oui, vous êtes des amazones, de dangereuses tueuses d'hommes.

- Nous ne tuons que les hommes qui tuent ou enlèvent des femmes.

- Fais-tu parti de ces hommes ?

- Non, mon peuple ne porte pas d'armes.

- Belle idée encore, que celle-là ! Vos hommes sont des pleutres qui se cachent au lieu de défendre leur foyers. Bon Mellia, il n'est pas mort, il n'a pas besoin de nous, repartons. Les autres, chevauchent déjà. La femme âgée secoue la tête devant l'expression sur le visage de son amie. Non Mellia, il est déjà top vieux et regarde comme il est maigre et faible.

- J'ai promis aux mères de me choisir un reproducteur. Je tiens donc le pari. Et puis, sa chevelure sera du plus bel effet sur mon heaume.

Elle n'a pas fini sa phrase que déjà, elle saute sur sa jument et d'un geste vif soulève le gamin qui pousse un cri mais lui entoure la taille de ses bras, à peine assis derrière elle, le cheval déjà au galop.

 

 

 

 

 

 

 

 

6 juillet 2022

Oda 2 : enlèvement

Oda 2 : enlèvement

 

Des cris.

Des bruits.

Des lumières qui dansent.

Ma mère.

Mère ?

Ma mère bousculent mes nourrices et leur intime le silence.

Mes deux jeunes sœurs tiennent sa robe, les yeux plein d'effroi.

- Mère, que se passe-t-il ? Où est père ?

- Tais-toi et suis-moi, mais surtout, surtout pas un bruit. Ton père est le Roi, il ne peut pas fuir.

- Alors, je ne fuirais pas !

- Sauve ta vie, mon fils, elle est l'Avenir de notre royaume.

 

Nous traversons telle une bande de voleurs, l'arrière du palais.

Les cuisines abandonnées où des chiens se disputent la venaison.

Les immenses vergers aux arbres ployant sous les fruits.

Dès le premier pas, sur le gazon bordé de hautes futées nous nous mettons tous à courir.

Ma plus jeune sœur glisse devant moi. Je la soulève et la tire derrière moi dans cette course folle dans laquelle ma mère, loin devant, nous entraîne mais à laquelle je ne comprends rien. Bientôt la pelouse fait place à des champs à la terre sèche où mes pieds saignent sur les durs cailloux.

Je comprends vite que ma mère veut que nous atteignons la forêt aux troncs serrés et bas où les chevaux ne peuvent pénétrer.

- Cours Oda ! Cours !

Je cours mais les courtes jambes de ma petite sœur me retarde.

J’essaie de la porter mais je la repose de suite, elle est trop lourde pour moi.

- Allez dépêche-toi Syria.

Mais bientôt, partout autour de nous surgissent des êtres mi-chevaux, mi-hommes. J'obéis à ma mère, comme les autres, je quitte le groupe sans lâcher la main de ma sœur.

Une main me saisit, une autre l'emmène loin de moi.

- Syria !

- Oda !

Le col du cheval est dur comme la main qui m'y plaque. L'homme et la bête ne font pas qu'un.

La monture est immense et le cavalier gigantesque. Mon torse doit être aussi large que sa cuisse brune et tannée par la crasse et le soleil. Son odeur me soulève le cœur.

Il n'a pas d'étriers mais une selle au pommeau d'argent qui frappe durement mon flanc.

Je pleure. J'ai mal et j'ai peur. Lui, il crie et il rit.

Je ne comprends pas ce qu'il dit.

Sûrement une de ces bandes de barbares, qui toutes les décennies, descendent jusqu'aux côtes pour piller et tuer.

Mon pays s'en remettra mais j’ai peur de ne plus le revoir.

 

Le sol défile sous mes yeux, le sable est remplacé par de l'herbe haute qui fouette mon visage et mes jambes, remplacée par un sol dur où les sabots des chevaux font jaillir des étincelles. Dans l'eau d'un ru à moitié sec, l'allure ralentit sûrement pour permettre aux montures de boire mais l'un d'eux pousse un cri et la course folle reprend et je prie mes dieux de me garder en vie et leur jure que quoi qu'il advienne, je reviendrai.

 

 

Quand il s'arrête, je ne sais pas si je dois m'en réjouir ou vouloir le voir continuer sa course.

Il me fait glisser au sol au milieu de leurs autres prises. J'y rejoins Syria et nous nous enlaçons mais les autres, qui sont toutes des servantes du palais, nous fuient ou nous repoussent.

 

Ils ont mis pied à terre et s'approchent de nous.

L'un d'eaux saisit une jeune femme dont il arrache la robe, puis la jette en riant sur son épaule malgré ses cris, ses pleurs et ses coups de poings et de pieds.

Je fais passer ma jeune sœur derrière moi en nous glissant au milieu du groupe affolé.

- Ne crains rien, je te défendrai.

 

Le barbare me saisit et me soulève au-dessus de lui triomphalement.

Mais son triomphe est accueilli par des rires et des clameurs moqueuses. Il me pose au sol en m'arrachant ma tunique et pousse un cri de rage en me repoussant. Je tombe lourdement sur les fesses en levant les bras pour me protéger de cette main qui se baisse vers moi, non pour me frapper mais pour me saisir par le pied et dans un grand geste tournant m'envoier voler au loin, percuter un arbre de la tête.

 

 

6 juillet 2022

Oda 1 :L'enfant roi

Oda 1 :L'enfant roi

 

Ma bouche happe un sein, ma main la suit, caressant ce fruit délicieux qui me nourrit.

Je suis entouré de soie.

Soie des coussins et des tentures multicolores, soie des corps qui m'entourent d'une tendresse infinie.

Ma soif étanchée, je me tourne et me blotti contre un ventre tout aussi doux, tendre et ferme.

Des bras m'enlacent, des lèvres caressent mes cheveux.

Une berceuse s'enfuit des même lèvres. D'abord inaudible puis reprise par vingt gorges ensommeillées, elle me baigne dans le cocon d'un chant léger comme le bruissement des ailes d'un papillon.

Mais je n'ai plus sommeil.

Je me lève.

Des petits pieds légers glissent sur le sol pour devancer toutes mes moindres envies.

Le bol qui recueille ma première aumône du matin sera ensuite directement présentée au médecin du temple qui la goûtera, l'observera pour vérifier que le malin n'a pas pénétré en moi.

L'onction sur tout mon corps rincée tout aussi délicatement avant que je pénètre dans l'eau de mon bassin qu'elles auront parfumée. Ce matin, des fleur de lilas y flottent mais sont écartées pour qu'elles ne me touchent pas.

Je ris car j'aime nager, j'aime sauter dans l'eau et toutes les éclabousser pour les entendre rire, elles aussi.

Mais ce jeu ne m’amuse plus, je sors une dernière fois et au lieu de sauter à nouveau dans l'onde fraîche, je pars en courant sur l'herbe douce à mes pieds d'enfant.

- Sire, sire...

Et telles une nuée de papillons, enveloppées dans leurs longues robes au tissus diaphanes et chamoisés, elle suivent leur jeune bourbon dont le vie n'est et ne doit être que jeux et plaisirs.

Mais je reviens docile, dans ma chambre, fatigué de ma course folle, et m'abandonne à leurs doux soins.

À deux, elles brossent mes très longs cheveux, les parsèment de très fines tresses et de petites fleurs odorantes.

Et enfin habillé moi-même de ma longue robe rose d'enfant, donnant la main à mes deux gouvernantes, je suis emmené déjeuner auprès de mon père et de ma mère que j'embrasse avec plaisir.

Mes deux sœurs ont déjà pris place autour de la large table et si ce n'est la couleurs de leur robe, rien ne les différencie de moi.

Les fruits ont un goût de miel mais je préfère le nectar de mes nourrices.

La journée se déroule comme tous les jours.

Doctes et illustres précepteurs défilent devant moi.

J'apprends et récite mes leçons, tire la langue devant la difficulté de recopier les écrits des savants passés où les sombres calculs que je dois résoudre.

À midi, je rejoins à nouveau ma famille mais cette fois, comme pour le repas du soir, nous ne sommes pas seuls et nous déjeunons entourés de tous nos familliers. Ces repas sont gais, et accompagnés par les chants de groupes d'hommes ou de femmes qui nous vantent les îles lointaines ou l'amour des dieux.

L'après-midi, trop chaude est consacrée à l'art nautique et à tous ses secrets, mon père est un grand chef qui, de son petit bout de continent règne sur plusieurs dizaines de petites îles.

Puis je finis ma journée. Lavé, oint d'un lait parfumé, à écouter des conteuses régaler mes jeunes oreilles, des récits fabuleux d'un passé peuplé de dragons ou de monstres marins. Mon peuple n'a pas de récits de guerre car nous sommes un peuple pacifique.

Et enfin, bercé, par leur paroles chuchotées, la bouche gorgée de lait, dans des bras chargés d'amour, je m'endors doucement.

 

 

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