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de mes rêves... à mes ailes...
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5 juin 1998

Et José sauta du train

Et José sauta du train...

José sauta du train. Des voix d'enfants le firent se retourner, de tout petits gosses couraient sur le muret qui surplombe la gare. Il était presque midi, la sortie des classes, il s'y revit, courant derrière sa petite sœur. Ce souvenir, ainsi que l'air qui lui remplissait les poumons le firent sourire ; il avait rejoint son véritable port d'attache ! Il était heureux, content d'être revenu après quinze ans d'absence...

Derrière lui le train s'ébranla, il s'élança d'un pas vif et élastique vers son passé ; les souvenirs affluaient le replongeant dans son enfance. Sur le pont qui enjambait toujours la voie de chemin de fer, il s'arrêta pour contempler un train de marchandises et en compter les wagons (cinquante-deux et trois locos, ils étaient de plus en plus longs !). Beaucoup de voies avaient disparu, laissant place à un espace d'herbes folles parsemées de ci, de là de vieilles poutres noirâtres et de rails rouillés. Combien de fois n'était-il pas descendu jouer sur ces voies disparues avec Benjamin, Ali, Mathieu, Mohamed et bien d'autres. Aujourd’hui il descendait cette grande avenue où l'été,  il s'attablait avec ses copains à la terrasse d'un bar pour voir passer ces touristes un peu fous qui débarquaient dans leur petite ville pour remplacer leur air pollué par notre "bon air marin".

José se mit à rire doucement à cette pensée, " le bon air marin" tu parles ! Toujours aussi généreusement pollué par toutes les usines de la région et qui selon la provenance du vent, change légèrement d'odeur. Cela lui rappela son père qui lui intimait de se taire lorsqu'il se plaignait, lui recommandant plutôt de les remercier d'être là puisque c'étaient elles qui le nourrissaient, l'habillaient à travers le travail qu'elles lui fournissaient. Petit à petit, il avait fini par comprendre et même par plus ou moins l'admettre mais jamais, non jamais il n'avait voulu y suivre un jour les traces de son père !

Tiens, sa chère vieille école où il avait usé tant de peaux de genou et de fonds de pantalon. Il savait qu'aujourd'hui il n'y avait plus d'école de filles et d'école de garçons mais l'Anatole France un et deux ! La nostalgie l'envahissait de plus en plus et son pas ralentissait lui aussi comme si elle voulait le ralentir dans sa quête du passé. Déjà il hésitait, son envie d'arriver au terme du voyage est moins forte que sa curiosité de découvrir ce nouveau port tant décrit par sa mère dans ses dernières lettres et tant décrié par son père qui lui regrettait l'ancien, bordé d'arbres et à l'aspect si paisible. Sa mère, des années durant, après la mise à la retraite de son mari, avait entendu celui-ci lui raconter inlassablement leurs parties de pêche dans la vieille barcasse au coeur même du petit port, agrandissant chaque fois un peu plus les poissons remontés par son fils, qu'il avait souvent lui-même sorti de l'eau.

De ces soirées ou de ces matinées en tête à tête avec son père, José, lui, gardait toujours en mémoire ses rêves de voyages, l'amenant au loin dans des pays inconnus mais merveilleux. Plus tard, à l'adolescence lorsqu'un léger coup de déprime le submergeait ou l'été, abandonné par tous ses copains partis pour des destinations lointaines : l'Espagne, L'Algérie ou Italie ; il venait s'asseoir sur les ponts de bois délaissés par les bateaux de pêcheurs et laissait son imagination l'emporter à la suite de ces vaisseaux gigantesques, qu'il pouvait admirer au loin dans les ports réservés aux pétroliers, de là lui était venue sa vocation de faire l'école marchande.

Pris d'une certaine lassitude, il s'assit sur le quai près de l'eau, au milieu de filets soigneusement étalés sur le sol, à sécher. 

Ses yeux se mirent à scruter l'horizon en quête d'un de ces mastodontes dont aujourd'hui, il connaissait les coins et les recoins, mais son esprit, lui, était resté de longues années en arrière. 

Ce jour-là, son père s'était fâché et ils en seraient venus aux mains  si sa mère n'avait pas pris son parti. Elle voyait toujours plus loin que son mari, et avoua par la suite à José qu'elle l'enviait un peu de faire un travail où l'on voyageait. Et ce jour-là elle sut si bien le décrire en commandant d'un de ces fiers coursiers des mers qu’il ne put que s'efforcer de coller à son image. 

Au mois d'Octobre, ses parents l'accompagnèrent tous les deux par le train, revêtus de leurs plus beaux vêtements. Ils voulaient tellement lui faire honneur ! Jusqu'à cette école qui allait changer sa vie, son horizon et leur enlever leur enfant pour en faire un homme, un inconnu. José ne souriait plus, ces souvenirs chargés de tendresse lui faisaient un peu mal Il se leva et reprit sa route vers l'ultime étape de son passé.

Ce jour-là le Mistral soufflait fort et il suivit le bord de mer pour rester dans l'odeur et les embruns de " SA MER ".

Tout d'abord, il allait monter au dixième, à " son étage " en ascenseur, celui-ci aurait-il encore sa vitre ? Ou serait-il ouvert aux quatre vents comme dans ses souvenirs. Puis comme dans les jours où l'ampoule aussi était cassée, il redescendrait par l'escalier en courant. Il leva les yeux et son sourire amusé se figea bien vite pour disparaître, il eut envie de hurler, mais juste un nom sonore put sortir. Il avait fait toute cette route pour ne plus trouver qu'un tas de gravats et une ruine à moitié démolie.

Il arrêta des passants, leur demanda pourquoi et encore pourquoi en leur montrant ce qui restait de la tour. On lui expliquait, il comprenait, mais c'était un grand morceau de sa vie qui avait disparu avec elle.

Petit à petit, de nombreuses personnes l'entourèrent et se mirent à raconter leurs propres souvenirs ainsi que leurs regrets, beaucoup étaient d'accord avec lui. 

Il ne les écoutait déjà plus, il pensait à ses parents qu'il avait abandonnés jusqu'au bout puisqu'il n'avait pu être présent pour leur dernier voyage et cette démolition les faisait disparaître une seconde fois. José s'éclipsa, il remonta doucement vers la gare, il regrettait maintenant d'être venu en train, il n'avait plus envie de se replonger dans son passé aujourd'hui évanoui. Il regretta juste de ne pas être venu avec sa moto car il serait déjà loin, très loin dans son présent.

En traversant à nouveau l'avenue Thorez, il aperçut un pétrolier qui lentement voguait vers quelque destination inconnue faisant rêver d'autres gosses comme lui quelques années auparavant. José monta dans le train sans un regard en arrière.

Il était heureux de ne pas avoir d'enfant. Qu'aurait-il pu lui montrer de son passé puisque tout n'était plus que poussière.

Demain il remettra sa belle casquette dont ses parents étaient si fiers et repartira loin, très loin.

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